Le blog coruscant et capricant d'un couple de garçons en retour d'exil

jeudi 26 février 2009

Maudit du vidéoprojecteur

Je prise les reprises pleines de surprises.

Dimanche soir, j'hésitai à voler à mon chat une gélule anti-stress.

Lundi matin, je me rendis en apnée jusqu'à ma salle.

Lundi midi, je me réjouis d'une rentrée sans heurt et me tançai mentalement : "C'était bien la peine d'appréhender, grand benêt" (j'ai toujours des mots doux pour moi-même). Jusque là, rien que de très classique.

Lundi 16 heures, je décidai de clore cette belle journée en convoquant tout l'aréopage des nouvelles technologies : ordinateur, vidéoprojecteur, feutre vélléda (vous vous attendiez à quoi? à un tableau numérique? z'avez une bien belle idée de l'état de notre équipement!). Passant d'un extrême à l'autre, plein d'une confiance téméraire, je renonce à photocopier les documents - de toute façon, ça passait mal à la photocopieuse. "Il verront mieux le document videopochtré vipéotochtré vidéotrochté sur le tableau blanc".

Et je savais ce que je disais : j'avais, le matin même, utilisé tout le tintouin avec grand succès. Dorénavant, appelez-moi Blanche-Neige.

Pendant la récréation, je branche mon installation et constate avec effroi que le videomachin, nonobstant les merveilles qu'affiche l'ordi, me balance un foutu écran bleu.

De l'éternel azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poëte impuissant qui maudit son génie

À travers un désert stérile de Douleurs
*.

Refusant de céder à l'impatience (mais tudieu, y marchait c'bouzigue, c'matin!), je mitraille vainement la touche F3 avant de redémarrer les bêtes. Mais peste soit du butor, le vidéobidule persiste. Encore du bleu, du bleu partout. Chameau. Evidemment c'est ce moment que choisit la sonnerie.

Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde
Avec l'intensité d'un remords atterrant,

Mon âme vide. Où fuir? Et quelle nuit hagarde

Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant?


Je cours chercher un autre ordi, des fois que ça soit lui le coupable, et revient haletant accueillir mes poètes. Je réinstalle mon bazar à la hâte, bloquant l'ordinateur de secours. Je meuble le début du cours comme je le peux :

Car j'y veux, puisque enfin ma cervelle, vidée
Comme le pot de fard gisant au pied d'un mur,

N'a plus l'art d'attifer la sanglotante idée,

Lugubrement bâiller vers un trépas obscur...

De temps à autre, mes poètes, tout pleins de compassion, me voient revenir vers l'ordi, bidouiller des câbles sans trop y croire. Mais

En vain! l'Azur triomphe, et je l'entends qui chante
Dans les cloches. Mon âme, il se fait voix pour plus
Nous faire peur avec sa victoire méchante,

Et du métal vivant sort en bleus angelus!


Vient le moment où je ne peux plus différer : il faut que je passe à l'étude du document prévu, un bouclier votif (oui, tout ça pour ça). Je demande à Properce de s'approcher de l'écran et de lire à haute voix, pendant que j'écris sous sa dictée, éclairé d'un invincible azur :

Il roule par la brume, ancien et traverse
Ta native agonie ainsi qu'un glaive sûr;

Où fuir dans la révolte inutile et perverse?

Je suis hanté.
L'Azur! l'Azur! l'Azur! l'Azur!

Et Horace de commenter : "C'est joli, m'sieur, ça fait de la lumière".
Notez que j'aurais pu tout simplement éteindre l'appareil. Mais, soit que j'ai aimé être un papillon dans la lumière (tais-toi Timy!), soit que j'ai eu la foi (le bouclier votif triomphe de la technologie rétive, genre), soit encore que

Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse
En t'en venant la vase et les pâles roseaux,
Cher Ennui, pour boucher d'une main jamais lasse
Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux


et ben, j'l'ai pas fait.
On s'étonne toujours de sortir vivant de ce genre de séance. On s'attendrait presque à se voir lapider par des foules vengeresses et harassées d'ennui. Mais non, les mômes assez mous d'ordinaire ont carrément dû s'endormir. Mais n'allez pas croire que la malédiction s'arrête-là!

Au moment où je sors dans le couloir avec un ordi dans chaque main, mon cartable dans l'autre** et le vidéoprojecteur honni en bandouillière, la bretelle d'icelui glisse subrepticement de mon épaule et me fait lâcher subséquemment un gros juron (relevant plus de la fille de mauvaise vie que de la peste du butor) pile au moment où je croise une inconnue, avec un enfant. L'enfant, je le connais : c'est le petit Athanase. La dame, ça doit être sa maman... avec laquelle j'avais un rendez-vous, re-fille de mauvaise vie! Ne jamais, au grand jamais, prendre de rendez-vous un jour de rentrée : à tous les coups on oublie (déjà qu'on oublie en temps normal...).

"Je dépose tout ça et je suis de retour en un instant".

Je dégaine la voix de velours et les grandes effusions dégoulinantes de bienveillance : mais oui, tu vas y arriver Athanase! Regarde : est-ce que je me décourage, moi, face à un vidéoprojecteur récalcitrant? N'abandonne pas et gni et gnou.
La maman repart, sans que je sache si elle est rassurée ou non. Mais bon, la journée est finie, et ce n'est pas un mal.

Encor! que sans répit les tristes cheminées
Fument, et que de suie une errante prison
Éteigne dans l'horreur de ses noires traînées
Le soleil se mourant jaunâtre à l'horizon!

comme dirait l'autre. Je ferme les volets et m'engage à mon tour dans le couloir. Je croise alors Grand Chef et son adjointe aux petits soins pour la maman d'Athanase qui, adossée au mur, se frotte vigoureusement la cheville. J'ai cru un instant que c'était moi qui lui avais cassé les pieds. Il s'est avéré qu'elle s'était viandé dans trois petites marches traîtresses.

Bonne nouvelle : la malédiction du vidéoprojecteur est contagieuse.

Pitou G.

* Qui a dit que les vers de Mallarmé étaient hermétiques? Il raconte juste l'histoire d'un mec qui n'arrive pas à faire marcher un vidéoprojecteur, c'est tout con en fait.

** Ahahah.

*** Je me doute que vous brûlez tous d'avoir des nouvelles du vidéoprojecteur. Sachez qu'il va bien et que l'ordi aussi. C'était juste le câble qui était tout pourri (et le matin, j'en avais utilisé un autre, d'où l'absence de pépin). Hourrah : je n'ai rien cassé, ni ne me suis couvert de ridicule en branchant mardi avec dimanche! L'histoire ne dit pas si la maman d'Athanase a cassé son mixeur.

6 commentaires:

Guilitti a dit…

Il m'aura fallu attendre 40 ans pour lire du mallarmé. Pff mais qu'ont fait mes profs?

excellent, moi j'trouve..
(pas mallarmé, hein, je parle de PitouG !

Anonyme a dit…

Dis donc , c'est un exercice de grammaire avec mélange de passé simple d'action immédiate, et ensuite intrusion de présent de narration ...
On n'écrit plus au passé simple sauf Pitou ! Bravo !!!
mais en revanche , Mallarmé hermétique ? Eh bien OUI ! je n'aime pas trop ! Tu aurais pu aussi introduire du Valéry ... ( Paul pas VGE ...) Ah voyons , pourquoi pas ...Baudelaire ? où tu habites , cela eût été normal que tu le fisses .Coco Mal Perché en eût été content. Serais-tu traître à ta ville ?

TAdF.

Anonyme a dit…

C'est dans ces occasions que je me rends compte, in petto, que mon vocabulaire de jurons est, somme toute, bien peu fourni....

Bellzouzou a dit…

j'ai bien ri.

Phoebe a dit…

Excellent, j'ai tout bien compris Mallarmé maintenant ! ^^

Anonyme a dit…

Pour les tableaux interactifs, il faut venir dans les super collèges "Notre ambition ? Votre réussite" (slogan non contractuel, suggestion de présentation). Bisous !