Le blog coruscant et capricant d'un couple de garçons en retour d'exil

vendredi 28 décembre 2012

Lalouze mène l'enquête

J'ai eu une sacrée revanche karmique, cette année. En plus d'avoir troqué ma classe « cour des miracles » contre la fine fleur de la nation, je finis ma semaine le vendredi à 14H00. J'aurais préféré gagner un million au loto, mais il paraît que le karma voit toute jérémiade d'un mauvais œil et que, du coup, il nous en jette un. 
Tout en rêvassant à la façon dont j'allais employer mon week-end (probablement à rêvasser), je revenais d'une petite virée en ville, écouteurs de l'I-pod vissés dans les oreilles, lorsque je rencontrais sur le trottoir un élément perturbateur en la personne de Cinderella Lalouze : elle marchait à côté de son vélo un peu comme on guide un poney (je la soupçonne de savoir se servir aussi peu de son cycle que d'un ordinateur) et semblait ruminer de bien sombres pensées. Je ne sais par quelle folie, sans doute l'euphorie du week-end naissant, à moins qu'il ne s'agisse d'un vieux fond d'éducation, j'ôtai mes écouteurs et m'apprêtais à brailler une incongruité du genre « Bon week-end ! » voire à ajouter, puisque j'étais manifestement dans un bon jour « Tu n'es pas déjà dans le train pour la Bretagne ? » quand je me rendis compte qu'elle avait déjà commencé à me parler. C'était assez déroutant, parce qu'elle n'avait utilisé aucune des formules liminaires usuelles de type « bonjour » ou « tiens, vous ici ? ». En fait, elle semblait poursuivre une conversation que j'espérais avoir close quelques trois heures plus tôt. C'était un peu comme si ne nous étions jamais quittés et ça m'a fait un peu peur. Je me suis imaginé qu'elle croyait se trouver face à sa conscience. La seule idée qu'elle puisse se figurer Gemini Cricket sous mes traits me secoua d'un frisson. Je n'avais toujours pas dit un mot qu'elle me déballa tout son désarroi :
« Je suis vraiment très embêtée. Baryton a perdu un CD et je l'ai vraiment cherché partout. Une heure et demie, j'ai remué ciel et terre mais je n'ai rien trouvé. Alors je suis très embêtée, ohlala, c'est pour ça. J'espère qu'on ne le lui a pas volé. Surtout pas maintenant : il en a tellement besoin!»

Je ne savais pas trop si c'était Baryton, le collègue qu'elle idolâtre et qu'elle poursuit avec une obsession étrange (Cinderella ne nourrit pas les mêmes goûts que moi en matière de garçon, c'est assez rassurant) ou le CD qu'elle avait traqué jusque dans le moindre recoin : les deux hypothèses étaient également plausibles. J'aurais pu me taire, prendre une mine compatissante, hocher la tête gravement ou encore crier « je m'en fous » et poursuivre mon chemin. J'ai choisi l'option la plus absurde, celle dont je savais pertinemment qu'elle allait prolonger en vain cet éprouvant face à face : l'humour. Que voulez-vous ? j'ai moi aussi de curieuses manies.
« Cinderella, je commence à te connaître : avoue que c'est toi qui l'as volé, ce CD ! »
Le ton d'histrion et le regard estampillé « 100% je taquine » dont je pris soin d'accompagner cette boutade tombèrent 100% à plat, mais c'était couru d'avance.
« Voler un CD ? C'est pas du tout mon genre ! Et puis je ne veux surtout pas embêter Baryton. Ohlala, le pauvre ! Il a assez de soucis comme ça !».
Je me gardai bien d'avertir Cinderella que le seul souci que je connaissais à Baryton, c'était le sentiment malsain qu'il lui inspirait bien malgré lui(blog-note à venir) et me contentai de subir la répétition de sa tirade de doléances. Je me retins d'émettre l'hypothèse que le CD était DCD et parvins tant bien que mal à m'extraire de la conversation, non sans me demander où pouvait bien être ce damné disque. Mais, heureusement pour Baryton, je savais que l'inspecteur Lalouze avait jeté toutes ses forces sur l'affaire (« je suis à fond dessus hi hi hi ! », comme elle a coutume de répéter à tout bout de champ à propos de n'importe quoi).
Le lundi matin, je racontais à Baryton ma discussion avec sa collègue et lui présentais mes plus sincères condoléances pour la perte du CD. Il me répondit sans émoi :
« Je ne vois foutre pas de quel CD elle parle. »
L'enquête fut classée sans suite.

Pitou G.

jeudi 27 décembre 2012

Ultime Johuade

Je n'ai même pas eu besoin de me soumettre à un hypnotiseur, comme le suggérait judicieusement Jecaracoledebarenbar, ça m'est revenu tout seul! À l'occasion d'une visite de la conseillère d'orientation dans ma classe (madame, si tu lis ce billet, un conseil : la prochaine fois, tu arrives avant que j'aie annoncé aux mômes le programme de la séance, parce que, tu vois, j'ai un peu tendance à oublier ce genre de happening - pourtant toujours captivant), une des premières perles de Joshua a émergé de mon brouillard mémoriel. Ne procrastinons pas davantage, cette coruscante pensée s'échapperait à nouveau. 
Il y a un peu plus d'un an, donc, mon Joshua assistait à la présentation d'une autre conseillère d'orientation (chez nous, elles changent chaque année mais elles ont toutes un point commun : le projet ambitieux d'illustrer l'expression tomber de Charybde en Scylla). Dès le début de l'heure, ce fut l'effervescence dans son esprit; il a suffi d'une précision pratique pour le plonger dans un grand émoi : "Les rendez-vous avec moi, c'est le lundi". Avec la vivacité qui le caractérisait - et le caractérise encore si j'en crois le bulletin que nous avons reçu de la part du lycée Chauffe-Marcel - il a levé vers moi ses grands yeux de brebis éperdue : 
"Monsieur, c'est le lundi toute la journée?
-  Eh oui, mon bon Joshua, il faut bien ça pour découvrir les arcanes de ton fonctionnement".

Bon, en vrai, je ne lui ai pas parlé d'arcanes (il m'aurait demandé quelle marque il devait acheter); je me suis contenté de le regarder avec effroi et compassion.

Pitou G.

dimanche 23 décembre 2012

Schmeurtemeutzelles aus Paris

 

Pour entamer en pleine forme votre marathon des fêtes de fin d'année,  les Pitous vous proposent un concentré de vitamines made in Germany. À la première écoute, on comprend que ces accortes rolleuses font le tour du monde en musique. Mais les germanophones experts que vous êtes ont déjà compris que nos candides accordéonistes - que l'on a crues un temps guides touristiques - n'évoquent pas les merveilles de la planète : il n'y a qu'un seul coin chouette sur cette Terre, et c'est la Bavière. Les Twinnies sont juste là pour nous rappeler que le monde entier se pâme pour leurs  concitoyennes.

Comment vous expliquer par quelle frénésie mon Pitou V. de futur mari a déniché et multivisionné ce morceau de bravoure folklorique? Je crois que le processus implique une drag queen suédoise look like Patsy Stone qui yodlait une chanson de coucou suisse, mais il est sans doute plus sage de l'oublier : l'essentiel est d'avoir pu rencontrer les Twinnies pour enchanter nos fêtes de fin d'année.

L'oublier? Vraiment? C'est mal nous connaître! Qui sommes-nous pour vous priver de Fröken Vega?


À très vite - si vous n'avez pas déjà fui...

vendredi 16 novembre 2012

Pédophobie

Sur ce blog, on n'hésite pas à se moquer des stupidités entendues çà et (nous sommes des hommes de coeur). Mais des fois, nous nous improvisons nous-mêmes auteurs de perles...

Je ne sais pas si, comme moi, vous frémissez d'admiration (ou d'effroi) face à tous ces experts qui, placés devant n'importe quel nouveau né, peuvent vous assurer qu'il a le nez de son poupa, le menton de sa môman, voire la fossette d'arrière-grand-tonton Jean-Louis. Un bébé, c'est un bébé. Point. C'est ce que j'essayais d'expliquer, peu aidé par une langue habile à fourcher :
"Je suis incapable de voir la ressemblance entre un bébé et un être humain"

Pitou G.

mercredi 14 novembre 2012

Tornade blanche (1)

Nous avons reçu en villégiature la grand-mère de Pitou V. pendant notre dernière semaine de vacances. Elle est ce qu'on appelle communément une tornade blanche, une de ces femmes qui ne vit quasiment que pour son ménage - et nous ne nous en plaindrons pas : nos vitres avaient grand besoin d'elles (et pourtant "c'est propre, pour deux garçons..."). Sa vie a brutalement changé il y a quelques mois et, depuis, elle commence à réadopter un rythme presque logique*; mais sachez qu'il lui arrivait auparavant de passer la cireuse à 4H30 du matin... Térébenthine et Encaustique sont les deux mamelles de cette France qui se lève tôt.
La passion de la cire lui inspire quelquefois de drôles de sorties :
"C'est gentil, cette théière. C'est ta mère qui te l'a offerte?
- Oui. C'est de la fonte.
- C'est facile à entretenir, ça. On peut mettre du cirage dessus."
Oui, surtout quand la théière est chaude, juste pour le bonheur de voir de grosses dégoulinures noires et grasses se répandre sur la nappe...

Pitou G.

*Logique est - avec gentil - l'adjectif préféré de la Tornade : elle l'accommode à toutes les sauces.

lundi 12 novembre 2012

Lalouze à Paris - 2

Rappel de l'épisode précédent : dans le bus pour Paris, Pitou G. a hérité d'une place de choix (merci collègues!) : il est assis à côté de Cinderella Lalouze. Elle parle, oh dieu qu'elle parle! mais ce n'est pas le pire...

Cinderella a vécu plusieurs accidents qui ont laissé de lourdes séquelles psychologiques. Je n'ai jamais bien compris s'il s'agissait d'accidents de la route ou d'accidents vasculaires cérébraux, voire des deux. Toujours est-il qu'elle lutte quotidiennement contre une terrible agoraphobie et qu'elle a une trouille bleue en voiture. À chaque fois que le bus doublait ou était doublé (ce qui s'est produit une ribambelle de fois à l'approche de la capitale), elle s'agrippait à mon épaule... yêrk! Le voyage m'a semblé bien long...

Une fois arrivés à  Paris, nous avons effectué tous nos trajets à pieds, et il ne fallait pas traîner ("Bonjour madame l'ouvreuse : on est une soixantaine et la pièce a commencé il y a vingt minutes. Ça ne dérange pas, bien sûr? Z'avez un joli sourire.") Or, nous comptions dans nos rangs une estropiée et une Lalouze. J'ai vu Cinderella trottiner dans les couloirs plus d'une fois et, croyez-moi, ce n'est pas beau à voir. Il a donc été décidé de faire d'une pierre deux coups et de cloquer la collègue avec l'élève à béquilles, une vraie terreur qui avait dû se blesser à la castagne, dans le premier taxi disponible. Comme nous sommes des gens responsables, nous avons pris la précaution de les faire escorter par une autre accompagnatrice.

Ce qui suit est bien sûr un récit de seconde main, mais les versions de nos deux témoins concordent : le chauffeur a été tenté plus d'une fois d'éjecter Cinderella de sa voiture. À chaque fois que le taxi atteignait la vitesse ébouriffante de trente km/h, notre boulet se mettait à hurler : "Ralentissez! Pas si vite!", en s'accrochant au bras de la brute éclopée sans le moindre égard pour sa minerve. Pour la troisième passagère, le grand guignol a commencé avant même l'arrivée au théâtre, la veinarde!

Vu de là où j'étais, le reste de la soirée s'est déroulée sans encombre, si l'on excepte l'élève qui a failli mourir d'une péritonite (mais comme elle était sujette à de fréquentes migraines, nous ne sommes pas inquiétés outre mesure). Au retour, comme Cinderella était de nouveau assise à côté de moi (j'ai des collègues en or), j'ai bien vu qu'elle tirait une tronche de trois pieds de long; en proie à mon propre calvaire, je n'y ai pas prêté beaucoup d'attention. Je vous passe l'épisode pique-nique et pause pipi sur une aire de repos, dans une station service qui annonce une fermeture à 22h mais qui baisse le rideau à 21h30. De toute façon, Jo la conductrice ne s'en est pas laissé compter. Un tel mordant lui a valu ce gracieux compliment d'un témoin anonyme :"Mais c'est un homme avec une perruque, ch'te zigue-là!"

Même une fois le dernier bambin confié à sa maman, la soirée n'avait toutefois pas fini de faire parler d'elle. Dès le lendemain, nos collégiens nous ont fait part de l'aigreur de Cinderella. Le soir de la représentation, elle a refusé d'applaudir. Ce manque de respect pour le travail des artistes a heurté certains collègues. Pas moi : libre à elle de penser qu'Arditi a joué comme un pied; on n'est pas toujours obligé de sacrifier à la convention sociale (il y a un canard au boulot à qui je ne dis jamais bonjour et je ne m'en porte pas plus mal). Cela dit, le jeu des acteurs était bien la dernière de ses préoccupations. Le problème, c'était la pièce elle-même, ce scandaleux ramassis de grossièretés. Si c'est pas malheureux que le collège ait permis - que dis-je! - organisé l'accès à de pareilles immondices au lieu de protéger ce public jeune et sensible! On serait tenté de penser que ce sont les trente-sept centimètres (cf épisode 1) qui ne sont pas passés*, mais on n'est même pas sûr qu'elle ait saisi l'allusion. Mais, rendez-vous compte!, Arditi prononce sur scène des insanités comme "t'es trop conne!" ou "putain!" Ça va devenir compliqué d'emmener des élèves voir du théâtre contemporain... 

Alors qu'à l'aller Cinderella n'avait pas cessé de tresser des couronnes pour ce pauvre Stentor qui avait accompli tant de travail pour organiser la sortie et qui ne pouvait même pas y participer, elle a, dès le lendemain, produit une lettre à l'attention du chef pour dénoncer notre inconséquence et se désolidariser du projet, sans même en parler aux principaux intéressés (qui lui auraient certainement répondu : "on ne t'a pas empêchée de lire la pièce avant la sortie"). Le chef a procédé à un classement vertical en bonne et due forme, mais l'incident - et surtout la perfidie de la lettre de délation secrète - a empoisonné la fin d'année. Devait-on intégrer cette collègue dans les jurys d'évaluation, au risque de voir les élèves ayant choisi de parler de la pièce être méchamment saqués par la Boutin de service? Personnellement, ça m'a laissé de marbre. Que Stentor soit tombé de son piédestal et que Cinderella ait été obligée de se choisir un nouveau chouchou, c'était plutôt un soulagement pour lui, non?

Impossible de savoir ce que ça va donner cette année, personne n'ayant consulté Cinderella sur le choix de la pièce. J'ai bien peur que le dramaturge, nonobstant le grand prix du théâtre que lui a décerné l'Académie française, ne soit pas toujours très poli... Un réplique comme 
" On ne peut pas, d’un côté, être les meilleurs du monde en football, et de l’autre, de véritables merdes au lancer du javelot !"
 risque d'atteindre Lalouze en plein coeur...

Pitou G.

* Je ne veux même pas imaginer ce qui pourrait passer par là...





samedi 10 novembre 2012

Lalouze à Paris - 1

Au mois de novembre se tient le premier conseil d'administration de l'année avec les nouveaux élus. C'est une dead-line importante : en principe, tous les projets de sortie doivent être bouclés pour être votés lors de cette session. Même sans ça, il ne faut pas tarder à s'activer : certaines destinations et spectacles sont très demandés. Et quand on essaie de combiner deux activités sur une même journée, il vaut mieux être prévoyant.

Je dis "on", mais vu que je suis une vraie quiche pour tout ce qui relève de l'organisation et que je suis téléphonophobe pour couronner le tout, je suis bien content de pouvoir m'en remettre à Stentor qui adore planifier (il paraît que ça existe, des gens comme ça)... Depuis quelques années, nous emmenons tous nos 3e à Paris dans le cadre de l'histoire des arts. Au menu, la visite du centre Pompidou* et une pièce de théâtre. Tous ces préparatifs me rappellent une anecdote qui a fait couler beaucoup de salive dans les couloirs du collège Haquenée (ah que si!) et dont le protagoniste est Cinderella Lalouze, bien connue des fidèles de ce blog (piqûre de rappel ici ou , si vous voulez). Autant vous le dire tout de suite : elle est encore des nôtres cette année, ça va donner.

Stentor aime bien ce qui brille. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que la pièce qui a retenu son attention l'année dernière réunisse sur scène Pierre Arditi et Catherine Hiegel. La plupart des encadrants ont lu la pièce et donné leur accord malgré quelques passages gentiment scabreux : la première scène en fait des caisses sur le lâcher de caisses; une autre commence par "Moi, j'crois pas qu'elle faisait trente-sept centimètres". On rougit un peu, mais franchement ça passe - enfin, pour les trente-sept centimètres, c'est pas si sûr. Du reste, quand on a préparé la sortie en étudiant des extraits de la pièce, le vocabulaire parfois gaillard n'a pas choqué ces âmes sensibles - d'ailleurs, il était sorti de cette préparation des hypothèses assez intéressantes.

Le jour J, Stentor n'a pas pu être des nôtres pour cause de gros virus (moi, j'crois pas qu'il faisait trente-sept centimètres mais mon collègue dépassait allégrement les trente-neuf... de température). Heureusement, quelqu'un a pu le remplacer au pied-levé, une jeune collègue qui a égayé le trajet en nous racontant sa découverte fortuite des bosquets des Tuileries où ça baise entre cinq et sept (je parle du créneau horaire, pas du nombre de participants, quoique...). Et croyez-moi, le trajet avait bien besoin d'être égayé : j'avais commis l'incroyable impair de la bonne poire de service :
 "Oh! Laisse Y! Je vais porter le billet d'appel"

À mon retour, les collègues m'avaient gentiment laissé la place à côté de Cinderella.  J'ai eu évidemment droit aux sinistres histoires de son éducation bretonne (Cinderella vient d'une famille très très famille, très très catholique et très très inadapté au monde moderne, sans télé et sans séjour au ski, sauf pour son frère Anselme pour lequel trois générations se sont saigné aux quatre veines... vous pressentez peut-être l'élément perturbateur de ma petite histoire) mais c'était loin d'être le plus terrible...
- À suivre...

Pitou G.

*Lors d'un oral, un môme a répondu sans rougir devant son jury qui s'inquiétait de savoir qui était Pompidou : "C'était quelqu'un de très connu. la preuve, c'est que Marylin Monroe lui a dédié une chanson" (Pom-pom-pi-dou, wouh!)

vendredi 9 novembre 2012

Joshua : épilogue

J'ai eu beau me creuser la cervelle, aucune autre perle de Joshua ne m'est revenue en tête...  Seul le diable sait combien il en a commis! Je suis puni par excès de procrastination. Les souvenirs qu'il me reste de lui sont bien maigre : sa bouille d'innocent, son sourire désarmant de grand enfant et les nombreux moments où il me traquait dans les couloirs pour m'abreuver de questions élémentaires... Quand un collègue me disait : "Il y a un élève qui te cherchait partout", je n'avais jamais de doute sur son identité. Je crois bien que je n'ai jamais réussi à m'énerver contre lui, même plongé dans les affres de mes plus mémorables craquages avec cette classe (tiens, ça aussi ça mériterait un article).

La bonne nouvelle, c'est qu'on lui a trouvé une affectation : le lycée Chauffe Marcel où il va apprendre à conduire de gros camions. Mais ses stages dans des domaines divers n'auront pas été inutiles : un jour, j'ai reçu dans un mail de ses parents (en fin d'année, j'ai eu une correspondance soutenue avec eux, ambiance "Obi Wan Kenobi, vous êtes notre dernière chance"... pas de chance, il n'y avait que moi) cette phrase magnifique :
"Son stage se passe bien et il aime ce qu'il fait dans l'exploitation agricole. Il y a même un veau qui s'est entiché de lui. "
Et en fin d'année,  chose assez rare pour être soulignée, les parents de Joshua m'ont envoyé un courriel de remerciement à l'attention de toute l'équipe. Ils se terminait ainsi :
" Nous vous souhaitons de bonnes vacances et beaucoup de courage avec les futurs clones de Joshua" suivi d'un smiley, sinon ça ne ressemble pas à un courrier officiel.
Evidemment, le lendemain, j'ai dû expliquer à Joshua ce qu'était un clone, parce qu'il se voyait déjà avec un gros nez rouge...

Pitou G.

mercredi 7 novembre 2012

T-shirt.con

Mon collègue Stentor est le champion des T-shirts. Sa garde-robe fait rêver quantité d'ado et préado amoureux des couleurs flashy. Il possède plus de hauts qu'il n'y a de jours dans l'année, a fortiori dans l'année scolaire, et ce n'est pas plus mal : il paraît que certains ne sont pas forcément fréquentables... Avec A., une autre collègue, on a lancé l'idée d'organiser une journée du T-shirt insortable (comprendre le t-shirt un peu provoc', un poil moche, vaguement ridicule, ou celui qui en dit trop long sur nous, bref : le t-shirt too much), un peu comme Adjani voulait lancer la journée de la jupe, sauf qu'on n'avait pas prévu de prendre les gosses en otages. Flingue ou pas flingue, cette initiative est restée lettre morte. Tant pis pour le top "I'm not desperate, I'm not a housewife" d'A (que les dieux ménagers n'ont pas gâtée). Quant au t-shirt qu'aurait choisi Stentor, ça reste un mystère (il n'en est pas à un près). De mon côté, j'avais portant opéré une présélection. Tous ne sont pas inavouables, les deux premiers ont même déjà été portés au boulot :

Comment gâcher une heure de cours : 
"M'sieur, ça veut dire koâ, l'inscription sur votre t-shirt?
- Je vous le dirai à la fin, si vous êtes sages..." 
C'était mal connaître cette bande de harceleurs. Il a donc fallu le traduire ensemble*
(la dernière fois que j'ai vérifié, ce n'était pas dans le programme)
Merci YoungFather...

Quand je suis d'humeur autoritaire... 
Notez que cet imperator qui semble sortir d'une coquille d'huître doit être fils de Venus...

Sofia Coppola avait le même en une de Télérama.
J'en ai rêvé, Schtouf l'a fait

Acheté
Acheté en Transrhénanie sur les conseils de Stentor. Lui s'est offert le reste du magasin. Portable en classe, à condition de porter un gilet qui n'en découvre que les cornes.
Mon T-shirt de PACS. Il va prendre 11 ans (et moi j'ai pris 11 kg)
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je donne le dernier grand gagnant. Je le garde précieusement, en vue d'une hypothétique première édition de la journée du T-shirt. Dans le genre Tarzan, je pourrais aussi recycler mon t-shirt "I can't stop rain", lacéré par Calim un jour de grosse panique : j'ai vu un tigre et j'en ai réchappé. 
Mais je serai toujours un cran au-dessous de Stentor : il a le génie de la mode et du moment opportun. Retenu contre son gré par le chef avec une poignée d'autres collègues (la chemise jaune dont vous apercevez la manche n'est pas mal non plus - attention à vos rétines), il a eu les honneurs de la presse locale dans cette délicieuse tenue. Un pli facétieux s'est invité sur la photo...

Pitou G. * Vous avez dix minutes pour plancher sur la traduction... Attention, c'est noté!

lundi 5 novembre 2012

Joshua

En sa qualité de gentil quichou, Joshua bénéficiait d'un dispositif d'accompagnement particulier. Avec quelques uns de ces camarades, il devait, entre autres joyeusetés, effectuer dans l'année cinq stages d'observation en entreprise, histoire de l'aider à choisir une orientation correspondant à ses goûts (les gros engins) et à ses compétences (euh... ses compétences en devenir). Sur le papier, ça semble une super idée, même si je continue de me demander, un an plus tard, pourquoi il n'y avait que quatre élus parmi vingt autres aspirants quichoux dans la classe (les trois élèves restants se demandaient quotidiennement, comme moi, ce qu'ils étaient venus faire dans cette galère). On en viendrait presque à ne pas regretter les loooongues fiches que j'avais dû rédiger pour chacun d'eux pour justifier de façon per-son-na-li-sée leur Parcours Dérogatoire (que nous n'avons jamais désigné par acronyme, allez comprendre pourquoi; cela aurait ajouté un grain de fantaisie aux conseil de classe : "le P.D. a fait le plus grand bien à Joshua : il a parfaitement ciblé son orientation"). 

Toutefois,  ce projet enthousiasmant s'est vite heurté au principe de réalité : quand un élève est en stage, il n'est pas en cours. Qu'à cela ne tienne : quand il revient en classe, son emploi du temps est aménagé de façon à lui permettre de rattraper les cours manqués avec un enseignant... et pour ce faire, il rate d'autres heures de cours. Concrètement, ça veut dire que, pour ma seule discipline, ils suivaient trois heures de cours pour compenser les neuf perdues. Mais comme c'est moi qui m'en occupais, cela ne pouvait pas poser de vrai problème, hein!

Evidemment, ça oblige à faire des choix, voire à adopter une pédagoguie du détour, quelquefois mal inspirée. J'ai ainsi eu l'idée saugrenue de faire passer les notions d'objectivité et de subjectivité par le biais de la diplomatie internationale. Pouvait-on imaginer explication plus adaptée à une poignée de quichoux? Cela dit, elle m'a valu un moment de pur non-sens, presque une révélation anti-existentielle : ce serait faire preuve de mauvais esprit que de la regretter. Bon, simplifions, objectif est un synonyme de neutre. Mais neutre, qu'est-ce que ça signifie au juste? Pourquoi dit-on que la Suisse est un pays neutre? Abyssale expérience du vide. Joshua, qui jusqu'alors regardait distraitement par la fenêtre, décide alors de voler à mon secours, même si je ne suis pas bien sûr qu'il ait écouté la question (au vu de sa réponse, on en vient à l'espérer) - puisque je vous dis que c'est un gentil garçon : 
"La Chine. Parce qu'on y mange du chien"

Il a l'air affirmatif. Les autres ne réagissent même pas. Grands dieux! Je devais déjà être blasé, parce que je ne relève même pas l'absurdité de sa réponse. J'aurais dû répliquer : "Oui, bien sûr. Mais quelle est la différence entre un rhinocéros?*" Au lieu de ça, je me suis enlisé :
"On dit que la Suisse est un pays neutre parce qu'en cas de guerre, elle ne va ni d'un côté ni de l'autre" (je vous l'accorde, je ne pouvais sans doute pas choisir pire formulation). Tandis que Wisconsina, Melvin et Molvin arborent toujours leur prestance de poissons morts, une fulgurante lueur traverse les yeux de Joshua, suivie d'un cri du coeur :
"Ah! en fait ils sont sédentaires!"

Comme quoi, il ne faut jamais désespérer.

Pitou G.

* Il ne peut ni voler.

samedi 3 novembre 2012

Fétiche

Un an, cela fait un an que je conserve au fond de mon cartable ce précieux grigri. Même après tout ce temps, il me fait encore rire. Mais toute perle des perles que ce soit, ça n'explique pas que je l'ai gardé si longtemps à portée de main. Je ne lui prête aucune propriété protectrice, aucune magie sinon un espoir de résurrection pour Montdepitous. C'est aussi un témoignage de l'année passée, une année pas si éprouvante que ça malgré la classe gentiment désespérante que j'étais censé guider. Pas une semaine ne passait sans que je me dise : « Ça, ça vaut bien un article de blog ; mais pas ce soir, pas assez de courage. On verra demain ». Et tout ce temps, je gardais ce papier froissé comme promesse de notre grand retour... Un an, c'est bien assez. 

Pour préparer l'étude d'une pièce de théâtre, j'avais juste demandé aux mômes de chercher chez eux, dans un dictionnaire des noms propres (j'avais lourdement insisté sur ce détail, comme si j'avais pressenti le fiasco), les noms de Jason et Euripide. Le jour venu, je vois Joshua se planter benoîtement devant moi. Je comprends confusément que son dictionnaire ne connaît aucun des deux individus demandés, qu'Internet que pouic et que je demande vraiment des trucs improbables ; même ses parents n'ont pas pu l'aider, c'est dire. Mais, vrai de vrai, Joshua est de bonne foi : la preuve, il a improvisé (sic) une définition. Je renonce à lui demander s'il a cherché dans une encyclopédie du bricolage ou s'il a songé à allumer son ordinateur avant de lancer sa requête. En fait, à ce moment-là, mon cerveau – qui sort tout juste des brumes du sommeil – se focalise sur l'expression « improviser une définition » qui le laisse pantois. Ma perplexité ne dure guère et j'oublie cet incident jusqu'à la fin de l'heure (c'était en tout début d'année, à l'époque où il était manifestement encore possible d'oublier Joshua une heure entière). Et puis à la fin de la séance, je retrouve par terre une boule de papier chiffonnée. Je ne tarde pas à comprendre qui en est l'auteur, apprenant au passage à quoi ressemble une définition improvisée...

Par la suite, est-il nécessaire de le préciser? Joshua est devenu la mascotte de cette classe, ou plutôt son totem : l'incarnation d'un état d'esprit, perpétuellement à côté de la plaque. Laissez-moi le temps de sonder ma mémoire et je vous fournirai d'autres preuves!

Pitou G.

mardi 23 octobre 2012

Gai, gai, marions-les!

Pas de rétrospective en vue: nous n'avons pas amassé des dizaines d'articles relatant notre vie trépidante de profs de dictée, nos vacances en corse (délicieuses) ou nos dernières expériences culinaires (quoiqu'il y ait quelques photos de chat et une catastouffe boulangère).
Juste un petit message pour parler d'un vieux projet, notre mariage.

 
Cela n'a pas directement de rapport, mais ça fait toujours bien rire.
              
Bien sûr nous avons choisi nos témoins il y a des lustres: plus de cinq ans se sont passés depuis que nous avons appelé, pleins d'excitation, Saby Banana, l'enthousiaste témouine de G. et Schtouff, ma plus circonspecte témouine: "Attends que la loi soit passée!"
Elle ne l'est pas encore mais, depuis le mois de mai, je sens comme une urgence de se préoccuper de penser aux réjouissances qui célébreront cet événement. On dit communément qu'un mariage se prépare un an à l'avance, il est donc temps d'y penser, car après quatorze ans de vie commune, on a largement dépassé la durée requise pour les *fianciailles (clin d'oeil à un membre proche de la famille bananienne qui a annoncé qu'elle se "fianciait").
Premier écueil, et non des moindres: la liste... des invités, pas des cadeaux! Cette autre liste-là m'encombre bien moins l'esprit, allez savoir pourquoi. Non, savoir s'il convient ou pas d'inviter les gadzillions de cousins dont nous sommes pourvus de part et d'autres est un autre défi. A priori la réponse est simple: on souhaite une fête assez intime et qui sorte un peu de l'ordinaire sans pour autant nous mener chez le-soleiiil-de-ma-viiie (oui, ça fait dix ans que je ne regarde plus la télévision, et même qu'on parlait encore en francs à l'époque). Mais voilà, comme nous sommes adorables, comme ils sont très liants, ils nous ont invité au leur (un mariage en plein milieu de l'été alors que la Méditerranée nous attend? Pas de souci! Il y aura une jarretière? Chouette, j'apporterai mon cd de "Viens poupoule...") Las. J'ai même tenté par deux fois d'agir préventivement, en assurant les intéressés ou leurs parents que vraiment je comprenais à quel point c'était dur de rester raisonnable sur la liste d'invités et que je ne serais aaaabsoluuument pas vexé de ne pas y figurer. Peine perdue, on nous veut, on nous réclame. Peut-être compte-t-on sur nous pour animer le dance-floor, se fiant au cliché confondant du gay qui se trémousse dès qu'on passe Madonna, Kylie ou Britney... Bon, il faut reconnaître que cela fonctionne, même si l'âge venant nous sommes plus difficiles: on veut bien danser sur la Gaga, mais pas trop tard (ça c'est un truc qui me tue, tous ces mariages où à minuit tu n'as pas encore mangé le dessert, et mon biorythme alors?) et s'il y a de la place sur la piste. En revanche il faut arrêter de passer toujours le même trio infernal: YMCA (ça va encore, y a une choré spéciale comme pour la macaréna... d'ailleurs rien n'empêche de faire la choré de la macaréna sur YMCA et réciproquement), Alexandrie (vite un sèche cheveux) et Les Lacs du Conemara (vite un sèche cheveux!).
Bref, les cousins c'est vingt personnes de plus, au bas mot. Il y a aussi mon père et sa dulcinée, à ne pas placer dans le champ de vision de ma mère (et réciproquement).
Les amis y vont de leurs conseils avisés: 
- envoyer les invitations un mois à l'avance (pour une date en plein été)
- demander à ce que chacun paye sa part (enfin une bonne chose venant de Bretagne)
- faire une web invitation avec l'Amour est un soleil  (clique doucement ici si tu veux voir Hélène Ségara avec du gloss et un miroir pendu au cou causer avec un faucon sur la dune du Pyla)(Hélène, tu as encore abusé du sèche-cheveux).
- n'inviter que les gens qui auront appelé ou pris contact dans le mois - et non, une demande d'amitié Farmville dans Faceb**k ne compte pas - ce qui est un bon moyen pour être dix...
Et vous, des idées pour cette fameuse liste?

V.

PS: la prochaine fois, nous parlerons du choix crucial du lieu...
PPS:
 
Juste pour la chapka rox-et-rouky du Monsieur-Dame... Rien à voir avoir les gros muscles de nos futurs garçons d'honneur
      

mardi 12 juin 2012

Fiche navet

Le mois de juin, c'est un peu, pour nous autres professeurs principaux de 3e, la grande saison des marathons. On court plus ou moins selon le degré d'évolution de nos bambins. Les mômes autonomes qui savent à peu près ce qu'ils veulent faire ou qui n'en ont pas besoin, parce que tout roule pour eux, vous rendront en temps et en heure les documents relatifs à leur orientation, dûment complétés, sans rature ni aberration (Youngfather m'assure qu'une fois il est tombé sur une demande "spicologie option chinois"). Et puis il y a les autres, ceux pour qui rien ne va de soi, ceux dont vous rencontrez les parents le vendredi soir pendant une demi-heure pour décortiquer tous les choix possibles et leur expliquer comment remplir les cases, tout ça pour vous retrouver avec une feuille qui a dû échouer entre les mains de Zézette épouse X ("ça dépend ça dépasse!")... Autant vous dire que, moi, j'ai beaucoup couru.

Vendredi 7 juin, après avoir commencé ma journée par gueuler comme un putois parce que Tutlémie n'avait toujours pas sa "fiche de dialogue avec la famille" (appellation officielle) - plus connue sous le nom de "fiche-navette" (parce que ça va et ça vient) mais que nous nommerons "fiche omnibus" parce qu'elle arrive toujours en retard - qu'elle m'avait promise la veille, l'avant veille et la semaine d'avant, et que Chouin'dead, arrivée avec dix minutes de retard ne l'avait pas non plus ("Tiens, Chouin'dead, vous ici? Vous vous souvenez de moi, je suis votre professeur de français? Mais si, la grosse buse qui essaie de rencontrer vos parents depuis Noël! on s'est vus le mois dernier!"); après avoir commencé ma journée, disais-je, de la plus délicieuse façon, j'ai donc obtenu de haute lutte la quasi-totalité des fiches avec une toute petite semaine de retard. Je ne peux quand même pas tous les adopter pour remplir leurs fichus documents! 

Le marathon ne s'arrête pas là. Vous découvrez en auscultant les voeux d'Ulnuche Lenouille et d'une de ses petites camarades qu'ils visent des établissements situés beyond the wall  (j'ai quand même le temps de regarder Game of thrones, ne nous plaignons pas) dans une autre académie, pour laquelle la période de saisie des voeux est quasiment terminée (ce n'est pas comme si je les avais prévenus quinze jours avant) et pour laquelle il faut un formulaire spécial. Et hop, un petit sprint!

Il ne vous reste plus qu'à compléter les fiches en reportant toutes les moyennes et en évaluant d'obscures capacités (combien je mets à Ulnuche pour "qualité de réalisation"? il n'a réalisé aucun de mes souhaits et je ne suis même pas bien sûr qu'il ait réalisé qu'il était doué de la parole). C'est un (très long) moment de pure désillusion... Je le savais, hein, qu'il n'étaient pas brillants. Tous les collègues me le répétaient trois fois par jour, des fois que je ne m'en sois pas aperçu par moi-même, à cause de mon incurable optimisme (et on me met combien, à moi, pour "force de déni"?). N'empêche, ça fait un drôle d'effet de les retranscrire de sa propre main, toutes ces moyennes stupéfiantes : des 5, des 6, des 7 à foison. De temps un temps, un 10 s'égare (merci Mme Lalouze) dans ce collier de perles. Vive et soudaine conscience de notre totale inutilité - puisque je vous le dis, que je suis un grand optimiste! Qu'on soit inutile, ce n'est pas bien grave. Le souci, c'est que je vois mal quel établissement de tarés va accepter de les recruter.

Mais ce n'est (presque) plus mon problème : j'ai refilé mon tas de fiches raturées au chef adjoint. Il les a examinées avec la plus grande attention. Ça a dû lui faire un drôle de choc, à lui aussi. Parce qu'entre entendre, lors du conseil trimestriel, ces geignards de profs gloser sur leur quotidienne expérience du vide (elle ne peut pas être aussi nulle que ça, cette classe!) et constater de visu l'étendue des dégâts, il y a un monde. Mais le chef est, lui aussi, un indécrottable optimiste :
"Ulnuche Lenouille... Bon qu'est-ce qu'il veut faire, lui? Ouh lala... Oh, mais il ne s'en sort pas si mal en maths : il a 9 de moyenne!
_ Regardez mieux, monsieur, lui souffle alors sa secrétaire, c'est 0,9" *
À la décharge du pauvre homme, il est difficile d'imaginer qu'on puisse à ce point toucher le fond.

On le sent un peu, hein, que moi aussi, j'ai touché le fond, là... C'est étonnant qu'avec une telle classe de champions, je n'ai pas eu plus d'inspiration pour nourrir ce blog. Mais il est fort probable que je vous recrache tout ça dans les semaines à venir! Ca-thar-sis!

Pitou G.

*Dialogue véridique saisi au vol par une collègue qui passait par là.

samedi 9 juin 2012

Gourdissonne et le pot au lait

Il faut remonter à juin 2007, alors que nous savions que nous quitterions bientôt l'Amiénie, pour trouver une fin d'année scolaire aussi désirée... Je l'accueille avec beaucoup de soulagement : la classe que je tutore - appelons-ça comme ça cette longue lutte contre le vide - jusqu'à la fin du mois est un specimen unique en son genre. Je prendrais le temps, dans de prochains billets, de revenir sur les moments forts de ma petite Cour des miracles. Ça vaudrait presque le coup de vous faire voter pour la plus belle pépite. Une collègue qui ne pourra pas assister à l'ultime conseil de classe m'a déjà fait part de ses regrets : "On n'a pas si souvent que ça l'occasion de rigoler". Youngfather a comparé le précédent à un spectacle de Pierre Palmade - au moins, je saurai dans quelle carrière me reconvertir quand on connaîtra le taux de réussite de ma classe au brevet (ça existe des pourcentages négatifs?) et que j'aurai perdu le peu de foi que je conserve en l'éducatibilité de nos ouailles...

Mais je n'ai pas l'apanage des cas désespérés. L'autre soir, c'est Pitou V. qui est tombé sur la fève des fèves lors de la correction de ses dernières copies. Quand celle de Gourdissonne Desamère est arrivée au sommet du paquet, j'ai vu mon homme blêmir. Il faut dire que Gourdissonne n'en était pas à son coup d'essai en grammaire; elle avait déjà à son actif un certain nombre d'exploits ébouriffants et pouvait s'enorgueillir de la maternité de formules qui figurent désormais dans tous les bons manuels scolaires, aussi brillantes que : "les mots variables, le singulier est au pluriel que dans les mots invariables le pluriel est au singulier" ou "l'adjectif est un verbe qu'es facilment conjugai". On devine déjà l'inclination de la demoiselle pour les délices du non sens involontaire. Pareille macédoine vous fait sérieusement douter de vos compétences pédagogiques, voire de l'intérêt même de toute réflexion sur le langage. Mais vous n'avez encore rien vu.

 "Mais bon dieu qu'elle est conne!" (si si, vraiment, même avec la plus grande bienveillance du monde, on ne peut pas dire le contraire). Pitou V. me tend alors le grand oeuvre de Gourdissonne. L'un des exercices proposés est un grand classique des joies grammaticales : deux phrases simples à transformer en une seule, grâce aux trésors de la juxtaposition, de la coordination voire - oh! pour les plus hardis - de la subordination. Pour encourager l'élève à enrichir l'expression, le sujet stipulait expressément qu'il fallait varier les tournures à chaque fois.

 
 Où l'on voit qu'il n'est pas nécessaire de parler mandarin pour ne pas se faire comprendre...

J'ai pleuré de rire une grosse dizaine de minutes, sans pouvoir me défaire, pourtant, d'une conscience aiguë du tragique. Gourdissonne a rendez-vous avec Ionesco, en attendant son classement au patrimoine mondial de l'UNESCO.

G.

dimanche 27 mai 2012

Palmarès à bas coût

D'accord, je n'ai pas blogué depuis des mois et des mois.
D'accord, la Cour des Miracles* dont j'ai la charge cette année ne me laisse plus assez d'énergie pour écrire (ni de foi dans l'avenir, mais n'anticipons pas).
D'accord, je tiens une crève de tous les dieux et deviendrai un ancêtre dans un peu plus de quinze jours.
Il n'en reste pas moins qu'hier, c'était l'Eurovision et que je n'ai pas le droit de laisser filer l'événement sans réagir. C'est une question d'éthique. C'est une question d'équilibre charmique entre des forces qui nous dépassent.

Je ne vais pas m'apitoyer longtemps sur le sort d'Anggun. Je n'ai rien contre elle - ni contre l'idée de voir des athlètes torse nu faire les marioles sur scène. Mais, si j'ai eu la faiblesse d'espérer un demi-instant en découvrant le micro-reportage précédant le show, sans avoir jamais entendu sa chanson en entier, qu'elle avait une demi-chance d'arriver dans les cinq premiers, j'ai déchanté aussitôt après son passage. Ce n'était pas que c'était franchement nul, hein, mais ce n'était pas franchement bon. Il y avait un truc qui ne collait pas. On l'entendait à peine chanter; la musique retentissait trop fort, limite dissonante. C'était comme si on avait essayé de jouer l'épate avec pas grand chose, au fond - autant laisser Kamel Ouali s'occuper de la choré. Je suis sorti de là avec l'impression de n'avoir rien vu ni entendu. La faute au réalisateur? On n'a qu'à dire ça!

Je ne vais pas non plus m'attarder sur cette pulsion intérieure que j'ai appris à maîtriser depuis le temps que ça dure et qui me donnait autrefois l'envie de hurler : "Bande de c°ns! C'était bien la peine de vous fracasser la tête si c'est pour voter les uns pour les autres 20 ans plus tard!" J'en viens à penser que si la Yougoslavie a éclaté, c'est pour le plaisir de se présenter plus nombreux à l'Eurovision et augmenter ses chances de victoire en même temps que le nombre de ses électeurs! Une solution pour écourter la soirée? Recoller Serbie, Monténégro, Bosnie, Croatie et l'Ex-République Yougoslave de Macédoine qui, jusque dans son nom, porte le regret de son indépendance. On pourra avec profit remailler l'Union soviétique - inutile de faire l'inventaire de toutes ces républiques (avec ou sans guillemets) qui votent les unes pour les autres, vous les connaissez. Les Russes pourraient envoyer une chèvre, ils seraient sûrs de figurer dans le peloton de tête. Cette année, ils ont été encore moins fair-play que d'habitude : ils ont fait concourir une poignée de grands-mères sans le sou pour émouvoir le chaland et faire pleurer Margaux. Je suis fort surpris qu'avec une telle artillerie, ils n'aient pas remporté la première place! Pour conclure sur le vote diplomatique, il faut bien avouer que ça a beau être usant, ça n'empêche pas, chaque année, qu'un gagnant se détache nettement des autres en faisant quasiment l'unanimité.

Non, le truc qui m'a vraiment scié, cette année, c'est que j'ai eu, devant l'Eurovision, la même impression que devant les présidentielles (sauf que Nadine Morano ne porte pas de robe à plume, ni Manuel Valls de sweat à capuche - ce que je regrette amèrement, croyez-le bien) : une incompréhension totale. J'ai complètement perdu mon flair de l'air du temps, je vis sur une autre planète, dans mon élite d'esthètes à l'abri du monde réel. Dans le monde réel, il y a une grosse proportion de gens qui croient dur comme fer qu'"on n'est plus chez nous" et que le monde entier veut immigrer en France pour profiter de notre naïveté et de nos prestations sociales (réveillez-vous, les gens : il suffit de regarder l'Eurovision pour s'apercevoir que personne ne veut venir en France, même pas les Belges!) Dans le monde réel, ce sont les chansons les plus insignifiantes qui recueillent les suffrages. La nouveauté de l'édition 2012, c'est que sur les cinq premiers, on compte pas moins de trois bouses infinies que j'aurais juré voir dans les limbes du classement : l'horrible Björk vampirique de l'Albanie qui ressemble à un Picasso vivant, 5ème! La fadissime azerbaïdajanaise (une Azéri à zéro!) avec sa robe à plumes et sa bluette inconsistante, 4ème! 3ème, le Serbe, je suppose que c'est une blague : lui n'a même pas une belle robe pour expliquer son succès, ni même la belle gueule du Norvégien qui a fini bon dernier (c'est triste, ce monde qui n'est même plus victime des apparences!). Pour ces trois-là, je ne peux même pas dire qu'ils ont engrangé des points pour de mauvaises raisons : ça relève du mystère le plus pur, un peu comme si Nathalie Sorce avait gagné en 2000!

Maintenant, si je regarde les sept derniers, France comprise, il n'y a pas trop de surprises. Où sont donc passés mes chouchous? La bombasse chypriote, la Roumaine latino et les Moldaves qui nous ont encore offert une chanson à la Kusturica (il n'y a pas à dire, certains pays ont une forte identité sonore : Grèce, Turquie, Moldavie...) n'ont pas démérité ni fait de franche étincelle. Même sort pour les OVNIS : les jumeaux irlandais, à mi-chemin entre le magicien d'Oz et les chevaliers du Zodiaques ou l'Ukrainienne, Vincent Mac Doom en vahiné, n'ont pas vraiment impressionné.

Cette session ne fera donc pas date à mes yeux. C'est pourquoi la chanson que j'ai choisie pour clore cet article n'a jamais représenté aucun pays à l'Eurovision (et pourtant, grands dieux, qu'elle y aurait eu sa place!) C'est à mes yeux la quintessence de ce concours : une langue indiscernable (du serbe, je crois), une robe improbable (elle existe en rouge et en blanc : on en a de la chance), ce qu'il faut de décolleté et de rythme endiablé. mesdames et messieurs, acclamez Margo!


Pitou G.
(Enfin de retour?)

*Il faudra bien un jour que je vous en reparle : il y a matière!

samedi 5 mai 2012

Mise à jour

La soupière chut, mais pas le blog... Certes Pitou G. ne ressent plus le besoin d'écrire comme jadis, quoiqu'il éprouve parfois une certaine lassitude de son travail - qui n'en éprouve pas. 
L'assurance nous a remboursé, certes pas assez à mon goût, mais tout de même la moitié du préjudice. Je ne me suis pas précipité pour remplacer tout ce qui avait été brisé, d'abord pour d'évidentes raisons financières mais aussi par résignation; puisque rien ne dure en ce monde... J'ai tout de même fait des pieds et des mains pour reconstituer ma soupière chérie, dont le couvercle était intact. Mon revendeur a déclaré forfait, la société refusant de lui vendre le corps seul. J'ai appris en appelant qu'il s'agissait d'une impossibilité informatique: les deux parties sont unies sous un seul et même code barre, pour l'éternité...
"Est-ce l'informatique qui gouverne le monde?" m'insurgeai-je. 
- Je vais vous donner le numéro du magasin d'usine, promit la dame réceptionniste un peu déconcertée.
- Attention, ne me baladez pas, je rappellerai jusqu'à ce que j'obtienne satisfaction, je peux même me déplacer! A 300 km de là, je n'étais pas prêt à bondir immédiatement dans ma voiture, mais il faut se montrer déterminé.
La vendeuse du magasin eut droit au même numéro du Pitou-prêt-à-tout:
- Je ne comprends pas, les deux pièces sont différentes, elles sont moulées à part, alors il n'y a AUCUN obstacle à satisfaire ma demande!
- Oui, mais elles forment un ensemble, on ne détaille pas, on vend le tout, il n'y a qu'une référence informatique.
- Allons,  trêves de balivernes... Vous ne pensez pas que je vais racheter un ensemble au prix fort, et garder un couvercle au cas où? J'ai déjà perdu beaucoup, vous imaginez l'effet que cela fait, quand tout s'écroule? Et j'ignore ce que l'assurance fera...
- J'imagine très bien, ma maison a brûlé! s'exclamait la vendeuse avec un accent de sincérité qui me donna quelque peu mauvaise conscience. Ce n'était pourtant pas ma faute, aussi rétorquai-je:
- Ah, devant l'incendie, je ne peux que m'incliner... Je suis désolé pour vous. Mais vous pouvez sans doute faire quelque chose pour moi...
- Mais Monsieur, je ne peux pas décider de cela seule... Je vais voir avec ma supérieure... je vous rappelle!
- J'y compte bien, car je ne manquerai pas de rappeler.
Elle a tenu parole. J'ai eu gain de cause,  avec un rabais d'un tiers du prix de départ. Comme j'ai en plus pris un second choix, j'ai économisé un demi bras. Nous avons eu l'occasion de discuter plusieurs fois par la suite, car j'ai eu envie de profiter de l'envoi pour commander autre chose. Et quand le colis est arrivé, j'ai eu la surprise de trouver une belle fêlure due au transport, ce qui a donné lieu à quelques échanges. Nous sommes maintenant de bons amis. Comme quoi, les arts de la table rapprochent les gens!
V.

lundi 9 janvier 2012

Et la soupière chut.

Les fêtes de fin d'année sont maintenant terminées, ne restent plus que les voeux, qui peuvent s'éterniser jusqu'à la fin du mois, et les bonnes résolutions, qui sont peut-être déjà oubliées. Père Noël fut généreux une fois de plus et les vacances se sont passées sans encombres, indigestions ou drames familiaux. En revanche, il n'en aura pas été de même pour notre Limoges. Alors que nous prenions l'apéritif avec des amis, un vacarme monstrueux nous a saisi: une étagère de la vitrine a cédé sous le poids de la vaisselle... et surtout d'une maudite lampe de sel que j'avais stupidement posée là en prévision de notre repas. Le sol est jonché de débris de porcelaine fine et de verre. Blêmissant devant la catastrophe, je tente de relativiser, alors que nos invités me regardent avec inquiétude. Ils savent mon goût pour ces objets désuets, que j'ai choisis ou qui m'ont été offerts. Hélas, le bol de ma soupière, la plus belle pièce, est brisée, laissant son couvercle veuf... Des verres vieux d'un siècle, cadeaux de ma mère sont en miette... J'accuse le coup, et profitant d'un coup de fil opportun, je laisse Pitou G. et nos convives déblayer le sol, où surnagent quelques survivants, dont certains, comme cette unique flûte à champagne publicitaire, auraient mieux fait de disparaître. La soirée ne fut pas totalement gâchée, nos amis ont apprécié les recettes inavouables  que nous avions concoctées (une redécouverte, il faudra que l'on vous parle du Faux Bailey's au Carambar ou du crumble de sardines...) et nous avons tâché de relativiser: personne n'a été blessé, les verres bullés de Biot étaient  au dessus, il est resté assez d'assiettes pour dresser une belle table pour le Nouvel An. Sur les conseils d'un ami, j'ai déclaré le sinistre à notre assurance, qui ne m'a pas envoyé promener comme je le craignais - après tout le préjudice représente plusieurs centaines d'euros: je dois simplement monter un dossier avec factures, photos des débris, et si possible photos avant le drame porcelainier. Je vous laisse admirer le résultat de mon travail...
V.


Mais dans quel état j'erre?


Verres "Mirabeau" décapités


Le Mira-bulé
Petits verres "Mirabeau", ou ce qu'il en reste.

C'est sûr, j'ai de la place maintenant.
Aaaaargh...
Galerie royale, après la Révolution.