Lundi matin, alors que je bénissais allègrement l'année nouvelle de me permettre de m'agiter de nouveau devant mes gnomes au lieu de rester sous la couette comme la quinzaine précédente, Chef adjointe a fait une timide entrée dans ma salle (c'est la dame qu'on a l'air de martyriser quand on va lui demander une information dans son bureau, selon l'analyse de YoungFather, ce dangereux tortionnaire). Elle me fait signe de la suivre dans le couloir (c'est moche de m'arracher à mes gnomes, madame, je n'ai pas fini d'explorer avec eux toutes les merveilles des temps composés de l'indicatif!). Je m'attends au pire, comme : "les associations de parents d'élèves ont porté plainte contre vous parce que vous ne faites pas assez de lecture de l'image" ou "un envoyé du ministère vient d'être mandaté pour inspecter votre cahier de texte incomplet; vous avez tout juste le temps de vous enfuir par l'issue de secours!"
Mais non, c'est beaucoup plus drôle que ça. Chef adjointe m'apprend qu'elle cherche de toute urgence des profs pour escorter Grand Chef dans ce qui est sans doute la ville la plus moche de Normandie, pour faire bon accueil à la Plus Haute autorité de l'Etat que nous désignerons ici sous un nom de code pour ne pas affoler les RG, soit Le Kobold. Chef adjointe est très embêtée, c'est pour ça qu'elle se permet d'interrompre un cours si captivant : il faut qu'elle donne sa réponse dans un quart d'heure. Pensez donc : le départ est prévu à 9h00!
Je regarde ma montre et j'y lis : 9h20. Oui, effectivement, on dirait bien que ça presse...
"Alors votre réponse?
_ C'est que j'ai pas mal de cours, moi, le lundi...
_ Mais je crois que pour tous vos collègues, ça va être la même chose. Alors qu'est-ce que vous en dîtes?
_ Bah non, en fait (l'espace d'un instant, je m'imagine devoir faire la conversation au Grand Chef pendant un trajet de presque 200 bornes, avec pour seule compensation le fol espoir de passer au journal télé à quelques mètres dugrand homme Kobold - ah qu'il est loin, le temps où on nous envoyait agiter nos petits drapeaux d'écolier pour accueillir François Mitterand, de passage dans notre bonne cité). Définitivement non".
Chef adjointe a l'air terriblement déçue, un peu comme si on lui apprenait que son prof le plus télégénique refusait de porter haut l'honneur du collège Haquenée (on la comprend un peu), près des lumières élyséennes. Je la laisse à son désarroi et retourne à mes gnomes (ça ou un Kobold...).
Alors que je regagne mon estrade - j'ai, comme certaine personne, besoin de me sentir plus grand que je ne le suis -, le doute s'insinue en moi... N'ai-je pas entendu ce matin à la radio que le Kobold est à l'instant même en route pour le proche Orient? Saint-Moche (la ville la plus hideuse de Normandie qu'un reste de charité chrétienne m'interdit de nommer - mais je compte sur vous pour guetter les journaux télévisés) est une ville carrément à l'ouest, pas vraiment sur son chemin... Je sais que le Kobold a la bougeotte et un penchant certain pour les lieux sinistrés, mais Gaza-Saint-Moche, ça fait tout de même beaucoup pour une journée... Bah, je dois me tromper : c'est ma chef, elle doit savoir ce qu'elle dit.
Dix minutes plus tard, j'entends de nouveau frapper. Et la même m'invite encore à la suivre dans le couloir.
"Je me suis embrouillée dans les dates! C'est la semaine prochaine! Alors, je vous mets sur la liste? Il faut vraiment que je donne la réponse incessamment sous peu*!
_ Euh... non. (Deux heures... route... conversation Grand chef... Kobold). Vraiment".
Là c'est sûr, je lui brise le coeur. Mais c'est ainsi : il est écrit que les profs les plus bankable doivent rester dans l'ombre (il ne s'agit pas pour l'Educ'Nat de laisser Holliwood débaucher son personnel - si l'Educ'Nat voulait supprimer des postes, ça se saurait). Il n'y aura que des thons pour accueillir Le Kobold. Tout cela restera bien assorti.
À la récré, c'est la rigolade générale. On se pousse tous du coude, on cherche à savoir quels sont ceux qui ont accepté de rejoindre la délégation:
" Moi, on est venu me trouver deux fois!
_ C'est moi qui ai fait remarquer à Chef adjointe qu'elle s'était trompée dans les dates. J'ai hésité à lui dire : ça aurait été drôle de laisser la moitié des profs partir à Saint-Moche pour rien!
_ Mais pourquoi est-ce qu'on ne m'a rien demandé à moi?
_ Tu veux rire, t'es bien trop moche!
_ Moi, je suis bien content d'enseigner une sous-matière : au moins, on me fout la paix!"
Et on s'amusait à filer la frousse à tous les nouveaux venus : "tous les profs d'histoire sont réquisitionnés d'office!" Il y a quand même des moments de grâce dans ce beau métier! Ça m'aurait presque fait oublier qu'il y a aussi de sacrés pisse-froid dans le lot... À une collègue qui disait que, non de non, il n'y avait pas moyen d'aller ovationner le Kobold, mon cher Helmut Stachos adresse un avertissement solennel :
Personne autour de nous n'a l'air de réagir, même pas la collègue incriminée. Suis-je le seul à l'avoir entendu? Peut-être que les autres arrivent à l'ignorer. Il faut vraiment que je leur demande leur truc!
Pitou G.
*Cette expression m'a toujours fasciné.
Mais non, c'est beaucoup plus drôle que ça. Chef adjointe m'apprend qu'elle cherche de toute urgence des profs pour escorter Grand Chef dans ce qui est sans doute la ville la plus moche de Normandie, pour faire bon accueil à la Plus Haute autorité de l'Etat que nous désignerons ici sous un nom de code pour ne pas affoler les RG, soit Le Kobold. Chef adjointe est très embêtée, c'est pour ça qu'elle se permet d'interrompre un cours si captivant : il faut qu'elle donne sa réponse dans un quart d'heure. Pensez donc : le départ est prévu à 9h00!
Je regarde ma montre et j'y lis : 9h20. Oui, effectivement, on dirait bien que ça presse...
"Alors votre réponse?
_ C'est que j'ai pas mal de cours, moi, le lundi...
_ Mais je crois que pour tous vos collègues, ça va être la même chose. Alors qu'est-ce que vous en dîtes?
_ Bah non, en fait (l'espace d'un instant, je m'imagine devoir faire la conversation au Grand Chef pendant un trajet de presque 200 bornes, avec pour seule compensation le fol espoir de passer au journal télé à quelques mètres du
Chef adjointe a l'air terriblement déçue, un peu comme si on lui apprenait que son prof le plus télégénique refusait de porter haut l'honneur du collège Haquenée (on la comprend un peu), près des lumières élyséennes. Je la laisse à son désarroi et retourne à mes gnomes (ça ou un Kobold...).
Alors que je regagne mon estrade - j'ai, comme certaine personne, besoin de me sentir plus grand que je ne le suis -, le doute s'insinue en moi... N'ai-je pas entendu ce matin à la radio que le Kobold est à l'instant même en route pour le proche Orient? Saint-Moche (la ville la plus hideuse de Normandie qu'un reste de charité chrétienne m'interdit de nommer - mais je compte sur vous pour guetter les journaux télévisés) est une ville carrément à l'ouest, pas vraiment sur son chemin... Je sais que le Kobold a la bougeotte et un penchant certain pour les lieux sinistrés, mais Gaza-Saint-Moche, ça fait tout de même beaucoup pour une journée... Bah, je dois me tromper : c'est ma chef, elle doit savoir ce qu'elle dit.
Dix minutes plus tard, j'entends de nouveau frapper. Et la même m'invite encore à la suivre dans le couloir.
"Je me suis embrouillée dans les dates! C'est la semaine prochaine! Alors, je vous mets sur la liste? Il faut vraiment que je donne la réponse incessamment sous peu*!
_ Euh... non. (Deux heures... route... conversation Grand chef... Kobold). Vraiment".
Là c'est sûr, je lui brise le coeur. Mais c'est ainsi : il est écrit que les profs les plus bankable doivent rester dans l'ombre (il ne s'agit pas pour l'Educ'Nat de laisser Holliwood débaucher son personnel - si l'Educ'Nat voulait supprimer des postes, ça se saurait). Il n'y aura que des thons pour accueillir Le Kobold. Tout cela restera bien assorti.
À la récré, c'est la rigolade générale. On se pousse tous du coude, on cherche à savoir quels sont ceux qui ont accepté de rejoindre la délégation:
" Moi, on est venu me trouver deux fois!
_ C'est moi qui ai fait remarquer à Chef adjointe qu'elle s'était trompée dans les dates. J'ai hésité à lui dire : ça aurait été drôle de laisser la moitié des profs partir à Saint-Moche pour rien!
_ Mais pourquoi est-ce qu'on ne m'a rien demandé à moi?
_ Tu veux rire, t'es bien trop moche!
_ Moi, je suis bien content d'enseigner une sous-matière : au moins, on me fout la paix!"
Et on s'amusait à filer la frousse à tous les nouveaux venus : "tous les profs d'histoire sont réquisitionnés d'office!" Il y a quand même des moments de grâce dans ce beau métier! Ça m'aurait presque fait oublier qu'il y a aussi de sacrés pisse-froid dans le lot... À une collègue qui disait que, non de non, il n'y avait pas moyen d'aller ovationner le Kobold, mon cher Helmut Stachos adresse un avertissement solennel :
"Tu n'as pas à faire part de tes opinions politiques!"
Je guette sur son visage tout indice qui trahirait un trait d'humour (parce qu'il rigole, évidemment, hein?). Mais non : il est plus sérieux que la pape et certainement pas moins sermonneur. Il ajoute même : "Tu es dans une enceinte publique ici, et tu le sais très bien", avec ses airs de schtroumpf à lunettes.Personne autour de nous n'a l'air de réagir, même pas la collègue incriminée. Suis-je le seul à l'avoir entendu? Peut-être que les autres arrivent à l'ignorer. Il faut vraiment que je leur demande leur truc!
Pitou G.
*Cette expression m'a toujours fasciné.
7 commentaires:
Et voila... Ah ben merci de me gâcher ainsi un mârveilleux mercredi après-midi... Non, vraiment, merci...
Au long de ma lecture (j'y reviendrai plus tard) un fol espoir avait vu le jour: je vais enfin voir une de mes idoles boguesques à la tévé... Pour vous, même j'aurais regardé téheffoin... Si, si.
Et pis voila... C'est définitivement non... Là chuis trop triste...
Pasque fo vous dire, monsieur, (c'est maintenant que je reparle de votre blog)que votre blog chaque matin m'aide à ouvrir les paupières; participe activement à la formation de quelques rides (naissantes, rassurez-vous!); active les quelques neurones encore capables d'être titillés par un bon mot.
Bon... tant pis... Je n'afficherai pas en salle des profs la date et l'heure du grand rendez-vous (les Pitous en direct sur la tévé!!)...
Tiens , me reste plus qu'à organiser mon suicide au chocolat. A cause que vous avez pas voulu être près du nain mégalo.... Pfff pas bien.
Comme mamys je suis déçue, en fait. Déjà parce que la confrontation d'un Pitou avec le ventilateur n'aurait pu que donner des articles tous plus savoureux les uns que les autres, ensuite car j'aurais enfin pu voir un Pitou à la télémoche.
et ça c'est vraiment moche de ta part.
j'acquiesse , j'acquiesse!!! pourquoi nous priver du si grand bonheur de pouvoir voir et revoir en boucle un Pitou à la télé.Non mais , il faut savoir parfois se sacrifier sur l'autel de son blog!!!
On est déçus ! On est déçus ! Et on va tous pleurer incessamment sous peu (enfin, c'est l'opinion personnelle qui est la mienne à l'heure d'aujourd'hui).
Tous=> Bon, c'était pas dit que je passe à l'écran. Ou alors, très très vite, emporté comme un fétu de paille par le ventilateur du Kobold... Cela dit, je serais devant ma télé pour scruter les quelques collègues qui seront du voyage!
...Je suis également fasciné par l'expression...
C'est pas gentil, j'ai regardé quand même, dans le fol espoir d'apercevoir quelqu'un qui aurait pu m'évoquer un Pitou, V ou G, peu importe, je les confonds toujours ... mais non, seul le nain à talonnettes et grosse montre était sur les zimages ... tristesse et désolation se sont abattues sur moi ...
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