Le blog coruscant et capricant d'un couple de garçons en retour d'exil

mercredi 10 septembre 2008

Orpheline d’un arbre

Je l’ai toujours connu, ce conifère columnis. Lui et sa haute silhouette, élancé, souple. Bien trop souple, quand le vent tempêtait. Il aurait pu être menaçant et, pourtant, jamais il ne m’a inquiété, quand je le voyais se balancer depuis mon velux à quelques mètres de la maison. C’était un arbre familier, trop apprivoisé pour avoir un jour l’idée saugrenue de s’écraser sur la baie vitrée. À Noël, il se couvrait même de guirlandes lumineuses.

Columnis, était le meilleur ami des chats, à la fois escalier permettant d’accéder au toit, parapluie (comme s’il pleuvait en Normandie !) ou parasol. C’était lui aussi leur Grand Initiateur : celui qui leur faisait passer l’épreuve du passage à l’âge adulte, quand, après avoir monté, trop monté, et s’être laissés prendre au piège de l’altitude, nos chatons en dégringolaient (deux étages, tout de même). Pas méchant, cet arbre : ses branches amortissaient la chute. Les chats en sortaient plus futés.

De tous les chats ayant vécu chez mes parents, c’est Juvie qui lui vouait l’amour le plus fidèle. Elle ne quittait pour ainsi dire jamais son ombre, sinon pour se traîner jusqu’à sa gamelle. Et encore y amenait-elle, captives de son poil duveteux, brindilles et aiguilles (si tant est qu’on puisse parler d’aiguilles : columnis ne piquait pas). On en était venu à considérer la chatte comme un genre d’Hamadryade, ces déesses sylvestres mourant avec l’arbre qu’elles protègent. Ça donnait à réfléchir quand on évoquait l’éventualité d’abattre ce bon vieux conifère.

On aperçoit derrière Juvie son arbre adoré.

Le danger n’est finalement pas venu de la cime acrobate, mais de ses racines, trop conquérantes. Depuis le temps qu’il trônait dans le jardin, Yggdrasill columnis avait prospéré, peut-être aux dépens d’autres plantes, mais surtout à ceux d’une annexe voisine qu’il menaçait de plus en plus sûrement.

Depuis quelques jours, il ne subsiste de lui que sa souche que Juvéna continue de veiller. De temps à autre, elle jette un regard en l’air, avec celui de se demander si l’arbre va repousser. Je la soupçonne de croire qu’un arbre pousse par le ciel... En attendant d’élire un nouveau coin du jardin, peut-être les lavandes avec lesquelles elle se confond si bien, la chatte fait son deuil.

Il prenait de la place, columnis, mais depuis qu’il n’est plus là, le jardin semble plus petit.

Pitou G.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Je trouve que ce post ressemble à un poème en prose... trop fort le Pitou

Gros bisous

Roseline

Les Pitous a dit…

Je confirme: c'est délicieux.

V. l'objectif

Les Pitous a dit…

Merci à tous les deux. J'ai les nerfs à fleur de peau. Il faut croire que ça donne un coup de pouce à l'inspiration...

Alcib a dit…

C'est vrai que c'est tout à fait délicieux !
Et en plus, je comprends tout, ce qui m'aide à apprécier la prose poétique.

Juvéna sait bien que lorsqu'on veut atteindre un objectif, on oriente le regard vers la destination, pas vers l'origine. Elle sait que l'arbre pousse du sol mais qu'il pointe vers le ciel et elle a confiance en son pouvoir magnétique.

Pardon de n'être pas aussi poétique (je n'ai pas fini mon thé noir matinal).

Anonyme a dit…

Un très joli texte qui transmet parfaitement et l'affection pour l'arbre, et l'amour pour la chatte.

Une persanne ? On dirait la mère du mien.

Les Pitous a dit…

Alcib=> Ma Juvie est beaucoup plus terre à terre que tu ne le supposes. Elle n'a jamais été très aérienne, et c'est un coeur simple. Une princesse au coeur simple.

Dom=> Eh oui, amour de la nature et tout ça... Juvie est une chartreuse certifiée dotée d'un gène récessif : un de ses grands-parents était effectivement un chartreux. Le croisement visait à perpétuer dans la lignée les yeux cuivrés.