Le blog coruscant et capricant d'un couple de garçons en retour d'exil

mardi 9 septembre 2008

Shavanava?

Saby Banana (qui m'a expressément demandé de parler d'elle) a passé ses vacances entre la Turquie et la Syrie, dans le but non avoué de trouver l'amour dans les bras terrifiants (mais c'est ça qui est bon) d'un éventuel ravisseur. À défaut de prise d'otage, elle a parfait sa connaissance en grammaire du haut-hittite (hourrah!) et nous a envoyé une carte postale, dans laquelle elle fait référence à Mme Huileux. Par le fruit d'un hasard inouï (mais vous n'êtes pas obligés de me croire), quelques jours avant de recevoir cette carte, j'avais entamé un nouvel article intitulé "Shavanava?" et dans le corps duquel, j'avais écrit ceci :

Madame Huileux, spécialiste du Kokuropu et du shavanava

avant d'être brutalement brisé dans mon élan. Jugeant que c'était un peu court pour un article, et surtout pas très intéressant, j'avais laissé en plan cet embryon de message , en me promettant bien d'y revenir, toutefois. Parce que, bon sang, Mme Huileux, ça c'est un sujet en or!
Cette prof rendait palpitantes nos journées à la fac. C'est elle qui nous a appris pourquoi nous mangions des fraises et des framboises alors qu'en toute logique, nous devrions manger des fraies (latin fraga) et des bramboises (cf. norvégien bringebær), tout ça à cause d'une remotivation synchronique croisée (en clair, fraise et framboise sont des fruits considérés comme tellement proches que les locuteurs ont ressenti le besoin de faire se ressembler leur nom). Avec ce truc des fraies et des bramboises (ouais, je peux être très chiant), j'ai fait suer mon entourage pendant des mois. Quand je rencontrais quelqu'un de nouveau, ça donnait ça :

Pauvret qui ne sait pas encore où il s'aventure : Bonjour, ça va?
Pitou G : Ouais, et toi? Tu savais qu'il y a eu une remotivation synchronique croisée entre la fraie et la bramboise?*

Être initié aux anomalies de l'étymologie à travers un cours sur les fruits rouges, c'est la classe.
Mais ça, c'était l'apéritif (on pense trop rarement aux fruits rouges à l'apéritif), c'est-à-dire en licence. En maîtrise, ça se corsait. D'ailleurs, on n'était plus que cinq à suivre ce cours pour experts, dont Szofia, étudiante hongroise et mascotte de notre promo, qui ne parlait pas un seul mot de français. C'était d'ailleurs très drôle quand Mme Huileux nous rendait nos copies de partiels, parce qu'elle nous les rendait sans les avoir désanonymées.
Il s'agissait d'une initiation à des langues anciennes, écrites dans des alphabets port'nawak : le shavanava (plus connu sous le nom de sanscrit) et le kokuropu (du grec mycénien) dont Huileux était une spécialiste. Après, on comparait entre elles des tas d'autres langues foutraques périmées depuis des lustres et tout ça, ça remontait à l'indo-européen. Un plaisir d'esthète, quoi!

Mme Huileux est une femme qu'on n'oublie pas : le samedi matin, elle arrivait avec son interminable chevelure trempée (une tignasse comme ça, ça peut absorber des tonnes de flotte : il lui fallait au moins des cervicales en acier pour supporter un tel poids!) parce qu'elle n'avait pas eu le temps de se les sécher. Elle n'avait apparemment pas toujours le temps non plus de fermer tous les boutons de ses chemisiers. Sa poitrine s'en évadait quelquefois au beau milieu d'un cours, toujours au moment opportun : lorsqu'elle citait du Péguy** ("Elle avait une framboise sur la mamelle gauche"***) ou nous expliquait le déroulement d'un lectisterne ("c'est une exhibition de divinité"). Elle avait un don inné pour la mise en scène.

J'aimerais que mes élèves se souviennent de moi comme je me souviens d'elle...

Pitou G.

* Cette anecdote est malheureusement réelle.
** Ou alors, c'était Anatole France. De toute façon, je n'ai jamais eu la curiosité de vérifier : quand on a des seins comme les siens, on a droit à une confiance aveugle de la part de ses étudiants. Si ça se trouve, d'ailleurs, elle l'avait inventée, cette citation.
*** Devinez dans quel cours elle l'avait sortie, celle-là!

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Je crois que mon vénéré prof de Latin de 2nde nous avait raconté une fois qu'à cause d'une subtilité (mais là je laisserai à Pitou G le soin de corroborer cette assertion), nous avions de l'espoir et non du spoir... Bon ça ne fait pas avancer le Schmilblick, mais ça me permet d'écrire quelques lignes à mon Pitou chéri.

Gros bisous à tous/toutes (pas de sexisme)
Roseline de B.

Guilitti a dit…

c'est un peu le rêve de chacun de nous, de marquer quelques élèves ainsi !!!
J'ai rien capté au début du texte (premier paragraphe : shavanava, saby banana, mais keskidit?????), me suis accrochée (quand c'est devenu interessant avec les brambroises), l'ai fini, et l'ai relu avec plaisir !

Anonyme a dit…

Je vais m'aller cueillir quelques fraies au jardin ... las je n'ai aucun bramboisier à ma disposition ...
j'ai bien mis dans le contexte, hein, prof ?

Anonyme a dit…

J'aimerais avoir des cours comme ça! Malheureusement, les profs en la matière étaient jusque là plutôt insipides... ou alors ils marquaient, mais négativement. Reste les profs de grec ^^ (et l'année qui arrive)
En tout cas, jolie évocation. Je verrai dans quelques années ce qu'il me restera de mes profs de fac :)

Anonyme a dit…

je relève: " *** Devinez dans quel cours elle l'avait sortie, celle-là!"

Je dirais un cours sur Apolinaire , celui qui traitait des " mamelles de Tirésias "

????


TAdF

Anonyme a dit…

Pardon , je viens de relire ... J'étais trop sûr de moi ... je rectifie : Apollinaire .

TAdF

Les Pitous a dit…

Roseline=> Espoir vient de spes. Le "e" est une prothèse, ajoutée au cours de l'évolution du mot pour en faciliter la prononciation (on appelle ça aussi un métaplasme). C'est pour la même raison qu'on va à l'école et pas à la cole (schola), qu'on monte des escaliers (scalae), qu'on croise des écureuils (scuriolus) au lieu de scureuils et que notre épaule ne nous sert plus à faire la cuisine (spatula). C'est pour ça aussi que les Espagnols ne sont plus des Spingouins. Donnez un coup de pieds dans l'arbre et les prothèses tombent par dizaines.

Guilitti=> Saby Banana est une amie de longue date qui fait officiellement le même boulot que moi (mais en fait, elle garde des troupeaux d'élèves) et à qui il arrive pleins d'histoires. Elle avait même une rubrique rien qu'à elle sur notre ancien blog.

Manue=> Bravo! Les fraies sont-elles fraîches? Nos bramboisiers n'ont rien donné cette année. Trop la loose.

Inci=> En tout cas, moi, je ne montrerai pas mes seins à mes élèves ;)

TAdF=> Madame Huileux se moquait pas mal d'Apollinaire. Elle, ce qui l'intéressait, c'était les inventaires de trépieds en bronze ou de draps de lins chez les kokuropu; c'était de savoir que Ca-pa-thi-a, gardienne des clés, venait sans doute de l'île de Carpathos (et dire que je me souviens de tout ça)...
Sinon pour le cours, c'était... sur les fruits rouges! (surprise!)

Anonyme a dit…

hittite-hit-hourrah, moi, ça me fait rire...

Anonyme a dit…

et moi je dis, "halte là l'ami! entre la fraise et la framboise, point de ressemblance!"
Ni au goût, ni dans l'aspect. Entre la mûre et la framboise encore, soit! mais avec la fraise, pas du tout! Elle l'a vue où la ressemblance votre Madame Huileux là???

Les Pitous a dit…

Shen=> Oui, moi aussi!

Amapola77=> J'ai bien réfléchi à la question. C'est vrai que, formellement, la framboise tient plus de la mûre que de la fraise. MAis je crois que, dans cette affaire de fruits rouges, la couleur n'est pas anodine. Or, la mûre est une baie noire. Par ailleurs (et là je me réfère à la vision que j'en avais enfant), quand on pense fruits rouges, c'est d'abord à la fraise que l'on songe; puis à la framboise. Même s'ils se ressemblent peu, ce sont les deux fruits rouges les plus populaires et les plus symboliquement chargés. Ça suffit à justifier leur association.