Le blog coruscant et capricant d'un couple de garçons en retour d'exil

jeudi 6 mars 2008

Il suffit d'un rien

Quand on revient en pensée sur ses exploits du jour, le plus difficile, c'est de comprendre à quel instant précis les choses ont déraillé. Parce qu'avec une classe borderline les choses peuvent basculer très vite et pour un rien. C'est le syndrôme Pour un oui pour un non de Sarraute : une intonation mal perçue peut vous envoyer au casse-pipe. Gott sei dank, cela n'a occasionné jusqu'à présent aucune blessure physique. Ce ne sont pas des violents, juste de grosses taches (là, ils se défendent pas mal).
Ils étaient calmement en train de faire leur évaluation - ou plutôt de ne pas la faire, car il n'y a jamais grand chose sur leur copie, mais ce qui est fascinant, c'est qu'ils prennent toujours leur temps pour le faire (cette pensée m'a traversé pendant ma surveillance et m'a fait marrer tout seul; heureusement qu'ils étaient absorbés par leur non-besogne). L'instant d'après, ils se bidonnaient comme des baleines en s'insultant joyeusement. Heureusement, c'était cinq minutes avant la fin.
A bien y réfléchir, c'est souvent au moment où on ramasse les copies que ça débloque. Ce matin, par exemple, c'est Beline qui a flingué, bien malgré elle, la fin de mon heure :
"Monsieuuuuuur, qu'est-ce qu'on fait quand on a deux feuilles simples?
_ Bah je sais pas. Tu pourrais écrire ton nom sur les deux, pour voir (je vous jure que j'ai essayé de ne pas lever les yeux au ciel)
_ Elle est trop gogole".

Cette grâce innée, ce ton délicat, cet amour débordant pour son prochain... Pas d'erreur possible, c'était bien Grelinda qui avait parlé. Là, j'aurais pu faire comme si je n'avais rien entendu; j'aurais attendu que ça sonne et je serais allé boire un café. Au lieu de ça, j'ai lâché une nazerie façon Pitou G; c'est tout juste si je n'ai pas sorti un tambourin et mes habits de dame patronnesse :
"Je ne te permets pas d'insulter une de tes camarades. Comment veux-tu qu'on te respecte alors que tu ne respectes pas les autres (pipeau, pipeau, pipeau)
_ Bah c'est pas l'insulter. C'est juste dire la vérité de dire qu'elle est gogole, hein!"

Alors évidemment que Beline a l'ingéniosité d'un belon, mais je ne pouvais quand même pas rétorquer que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Je me suis donc contenté de coller la gente Grelinda (et poum, c'est encore moi qui vais me la farcir : on se demande qui est le plus puni). On a beau avoir l'air d'une grosse cruche quand on débite des préceptes neuneus (c'est pas gentil de frapper les moches; ils ont droit à la vie comme tout le monde), c'est sans doute mieux que de s'abîmer en entrant dans leur jeu.

Quand on y pense, le cours avait pourtant bien commencé : j'avais juste demandé à un absentéiste chronique de justifier sa dernière absence. Je me suis entendu répondre quelque chose comme "Quelle absence, j'étais là hier?". J'ai donc dû lui rappeler que je ne l'avais pas vu pendant un mois et demi avant les vacances. Là, j'ai eu le droit à un déballage hallucinant et agressif, un peu comme si je lui avais ordonné d'aller se faire fouetter tout nu en place publique (mais non, j'ai juste dit : "Tu me montres ton carnet, s'il te plaît") :

"J'ai pas d'carnet, de tout' façon j'ai même pas d'sac (tiens, c'est vrai, j'avais même pas remarqué). On m'l'a volé hier (c'est pas de veine : se faire piquer ses affaires quand on vient deux fois par trimestre, ça tient de la performance). D'ailleurs, si j'avais mon sac, je s'rais pas ici"

Je lui ai quand même fait répéter sa dernière phrase, parce que c'était vraiment un scoop pour moi d'apprendre qu'on ne venait en classe que quand on n'avait pas ses affaires. Remarquez, ça expliquerait beaucoup de choses... En fait, il avait fait un lapsus (je n'avais pas besoin de ça pour comprendre qu'il ne savait pas ce qu'il faisait là). Mais comme après, il a dormi, j'avais plutôt la paix. Jusqu'à ce que Beline pose sa question stupide. C'est pourtant vrai qu'elle est gogole...

5 commentaires:

Alcib a dit…

:o)
Ce texte est tout à fait charmant.

Et au moins toutes tes journées sont bien remplies.

Anonyme a dit…

Dis de ma part à V. que mon cours de sixième est orné d'une délicate jeune personne, 2 têtes et 20 KG de plus que moi, toute bretelle et diverses ficelles dehors : c'est la "petite" sœur de Vincent et de Caroline C. Elle me fait peur...
Jebaguenaudedanslespaturages

Didier Goux a dit…

J'aime bien vos histoires de rétiaire dans l'arène ! ça me change des blogs de profs pleurnichards. Je me demande pourquoi je ne viens pas plus souvent, d'ailleurs...

Les Pitous a dit…

Alcib=> Tu sais le plus beau? ça, c'était juste une heure! Mais bon, je ne me plains pas : quand c'est juste une classe, on peut encore en rire.

Jebaguenaudenananabelleudeschamps=> ces moments de joie quand une dynastie se perpétue. Bonne chance pour le verdict des urnes!

Didier=> Oui, hein, on se le demande ;-)! Continue de venir à ton rythme (en essayant d'éviter les jours où je pleurniche parce que ça doit bien arriver de temps en temps)

Anonyme a dit…

Il faut torturer les mioches à l'école, ils le méritent et ça leur fait des souvenirs pour plus tard : "tu te souviens, machin, le prof de truc, qu'est-ce qu'il était vache hein ..." et après, ça créé une cohésion. Si si !