Quand on y pense, notre mutisme de l'automne n'était peut-être pas une si mauvaise chose... pour vous. Vous avez échappé à une pelletée d'histoires de bahut. Vraiment, c'est trop bête : vos vacances sont finies!
Ce matin, je croise B. devant la photocopieuse (celui qui contrôle la photocopieuse, contrôle le monde), le sourire aux lèvres : "Tu as eu vent de la nouvelle?", demande-t-il.
Oui, je suis au courant, mais je ne vois pas trop pourquoi ça le réjouit. La classe dont il est le professeur principal accueille un nouvel élève. J'interprète son sourire comme la réaction cynique d'un homme au bout du rouleau. Dans une telle classe, l'accueil d'un nouveau est forcément une catastrophe : si le môme est bien, on a mal pour lui; s'il est infect, on apprend à nos dépens que la situation peut toujours empirer.
Devant mon air perplexe, B. développe : "Listéria s'en va!"
C'était donc bien le sourire d'un homme heureux. Il apparaît donc que la situation peut aussi s'arranger! Petite explication : Listéria est la plus gracieuse des adolescentes que j'ai eu le plaisir de rencontrer dans ma carrière, une enfant délicieuse qui vous agresse verbalement si vous lui adressez la parole. Un jour qu'elle était presque bien lunée, j'ai eu un début d'explication à cet état de fait : si elle se montrait aussi désagréable, c'est parce que, des fois, je la regardais (mais bien sûr, que je suis con! je me doutais bien que c'était un peu ma faute) et que ça, ça la stresse (je vous assure que j'ai des yeux normaux).
La première fois que j'ai vu Listéria (oh! j'étais bien loin de savoir qui elle était), je lui ai demandé son carnet de correspondance au bout d'un quart d'heure. En vain. Là encore, grossière erreur stratégique de ma part : "Vous avez pô dit steupléééé" (j'ai de la chance, elle m'a toujours vouvoyé, tout le monde n'a pas eu cet honneur). Il faut savoir que dire "tais-toi" à une jeune fille qui répète "put#in" ou "i'm'casse les couilles, l'autre" (l'autre c'est moi) toutes les trente secondes, c'est une marque d'irrespect. J'en prends note.
Je ne vais pas vous retracer tous ses faits d'armes. Il faut dire qu'elle a disparu de la circulation pendant plusieurs semaines et que les rares fois où elle était là, j'avais compris le truc pour avoir la paix : la laisser re-re-recolorier son agenda au fluo, emmitouflée dans sa doudoune blanche (ils ont tous des doudounes blanches). Je continuais à lui distribuer les feuilles, pour la forme; elle répondait invariablement : "Heu, c'te blague". Voilà pour nos jours heureux.
Listéria est de ces élèves dont on se demande avec angoisse quelle est leur vision du monde (un monde où papa qui ne roule pas sur l'or vous achète un portable dernier cri pour fêter votre première semaine d'exclusion?). D'où vient la violence qu'elle exsude à chaque instant au point de déteindre sur son apparence physique, devenue effrayante ces derniers temps? Imaginez un squelette avec une énorme tache jaune dans ses cheveux bruns. Cette fille est à la fois une énigme et un aveu d'impuissance. Alors bien sûr, son départ ne règle absolument rien, mais il soulage beaucoup.
Epilogue? : Depuis que j'ai écrit cette note, il y a plus de quinze jours, Listéria n'a toujours pas quitté le bahut. Je dirais même que je ne l'ai jamais autant croisée dans les couloirs (pas en cours, hein, faut pas déconner).
Ce matin, je croise B. devant la photocopieuse (celui qui contrôle la photocopieuse, contrôle le monde), le sourire aux lèvres : "Tu as eu vent de la nouvelle?", demande-t-il.
Oui, je suis au courant, mais je ne vois pas trop pourquoi ça le réjouit. La classe dont il est le professeur principal accueille un nouvel élève. J'interprète son sourire comme la réaction cynique d'un homme au bout du rouleau. Dans une telle classe, l'accueil d'un nouveau est forcément une catastrophe : si le môme est bien, on a mal pour lui; s'il est infect, on apprend à nos dépens que la situation peut toujours empirer.
Devant mon air perplexe, B. développe : "Listéria s'en va!"
C'était donc bien le sourire d'un homme heureux. Il apparaît donc que la situation peut aussi s'arranger! Petite explication : Listéria est la plus gracieuse des adolescentes que j'ai eu le plaisir de rencontrer dans ma carrière, une enfant délicieuse qui vous agresse verbalement si vous lui adressez la parole. Un jour qu'elle était presque bien lunée, j'ai eu un début d'explication à cet état de fait : si elle se montrait aussi désagréable, c'est parce que, des fois, je la regardais (mais bien sûr, que je suis con! je me doutais bien que c'était un peu ma faute) et que ça, ça la stresse (je vous assure que j'ai des yeux normaux).
La première fois que j'ai vu Listéria (oh! j'étais bien loin de savoir qui elle était), je lui ai demandé son carnet de correspondance au bout d'un quart d'heure. En vain. Là encore, grossière erreur stratégique de ma part : "Vous avez pô dit steupléééé" (j'ai de la chance, elle m'a toujours vouvoyé, tout le monde n'a pas eu cet honneur). Il faut savoir que dire "tais-toi" à une jeune fille qui répète "put#in" ou "i'm'casse les couilles, l'autre" (l'autre c'est moi) toutes les trente secondes, c'est une marque d'irrespect. J'en prends note.
Je ne vais pas vous retracer tous ses faits d'armes. Il faut dire qu'elle a disparu de la circulation pendant plusieurs semaines et que les rares fois où elle était là, j'avais compris le truc pour avoir la paix : la laisser re-re-recolorier son agenda au fluo, emmitouflée dans sa doudoune blanche (ils ont tous des doudounes blanches). Je continuais à lui distribuer les feuilles, pour la forme; elle répondait invariablement : "Heu, c'te blague". Voilà pour nos jours heureux.
Listéria est de ces élèves dont on se demande avec angoisse quelle est leur vision du monde (un monde où papa qui ne roule pas sur l'or vous achète un portable dernier cri pour fêter votre première semaine d'exclusion?). D'où vient la violence qu'elle exsude à chaque instant au point de déteindre sur son apparence physique, devenue effrayante ces derniers temps? Imaginez un squelette avec une énorme tache jaune dans ses cheveux bruns. Cette fille est à la fois une énigme et un aveu d'impuissance. Alors bien sûr, son départ ne règle absolument rien, mais il soulage beaucoup.
Epilogue? : Depuis que j'ai écrit cette note, il y a plus de quinze jours, Listéria n'a toujours pas quitté le bahut. Je dirais même que je ne l'ai jamais autant croisée dans les couloirs (pas en cours, hein, faut pas déconner).
Pitou G.
7 commentaires:
Une énigme et un aveu d'impuissance ? VOilà ton métier bien résumé ... mais c'est effrayant ... Bon courage, ça doit pas être drôle tous les matins pour aller bosser ...
Moi j'aime assez ne la voir que dans les couloirs...
Listeria... quelle jolie licence poétique... Et son pendant au mesculin ? Chancre ? ou mieux encore Sarkome ? heu Sarcome pardon...
Idiote, j'ai oublié de signer... Roseline de B.
J'ai envie de dire que ne pas signé, c'était signé R de B ;-)
Pour le pendant masculin, j'ai plus crétin mais moins toxique...
Bravo pour le courage et l'abnégation ! Listéria (c'est son vrai nom ?)me laisse pantoise. Et ses parents ils en disent quoi ? Quel pétrin.
Pffff ... tu devais toucher ton nez avec ta langue, et ça l'agressait, c'est tout.
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