Le blog coruscant et capricant d'un couple de garçons en retour d'exil

lundi 21 juin 2010

Le plus sadique des deux

Encadrer les gnomes à Salut Les Bovins pour leur semaine à la campagne, c'est avoir le privilège de passer quelques nuitées dans un gîte pittoresque, à faire des rondes entre les chambres de mômes eux-mêmes pittoresques. Parmi nos gnomes, il y a évidemment chaque année une poignée d'excités de service - et 2010 est une année faste. Et dire que j'ai manqué tout ça, plaignez-moi!

Un gamin excité au naturel voit son énergie décupler lorsqu'il est à une trentaine de kilomètres de chez lui, au milieu de ses copains, dans une ambiance de colonie de vacances, sachez-le. Massoud était bien parti pour faire la java toute la nuit avec ses compagnons de chambrée, lorsque Follet a fait irruption dans le champ de bataille en leur promettant une nuit spartiate si jamais il devait intervenir à nouveau, chose qui devait bien sûr arriver.
À sa deuxième visite, Follet fait signe à Massoud, pris en flagrant délire, de le suivre. Le gnome le suit, tremblotant, dans les escaliers. Premier étage; rez-de-chaussée; sous-sol.
"Tiens, voilà une chaise. Reste tranquille, et je viendrai te chercher tout à l'heure. Peut-être."
Follet l'abandonne à sa pénitence, remonte dans sa chambre et l'oublie.

À une heure du matin, I. passe par là et découvre la malheureux allongé sur le carrelage, sommeillant à demi. Elle le réveille doucement, cache son envie de rire en voyant l'empreinte des joints du carrelage sur la joue de Massoud et, sans s'émouvoir, passe à l'interrogatoire :
"C'est monsieur Follet qui t'a installé ici?
_Oui, répond-il penaud.
_ Et bien, bonne nuit!"

Et elle s'en va.
Pour les âmes sensibles, elle a tout de même prévenu Follet que sa victime gisait toujours au sous-sol. L'infâme est allé le chercher, sans trop se presser.

Le lendemain, Massoud était étonnamment sage (et un brin fatigué). Si vous n'avez jamais vu un somnambule faire du poney, vous avez raté quelque chose...

samedi 19 juin 2010

Le plus amnésique des deux

Pendant deux semaines, Haquenée a été bien calme : l'épicentre s'est provisoirement déplacé en pleine campagne pour cause de transhumance de gnomes. Ce genre de classe verte est un rituel, chez nous, début juin. Comme je n'ai pas eu de gnomes en cours cette année, je me le suis épargné. Mais grâce aux indiscrétions des collègues, je ne suis pas passé à côté de l'essentiel.

En fin d'après-midi, mes collègues Sylvie Jolie et Bérénice (celle qui clame haut et fort en conseil de classe qu'elle ne veut pas faire sa chieuse) ont chaperonné un groupe de gnomes dans leur découverte de la mégalopole dont nous abrégerons le nom champêtre en SLB (Salut Les Bovins!) : SLB, son église, sa mairie, ses deux maisons et ses trois vaches. On comprend qu'un tel circuit touristique ait épuisé les gamins (et peut-être bien aussi qu'ils avaient encore dans les pattes leurs trois heures de VTT) : Léon s'assoie sur un muret près de l'église et bascule soudain en arrière. Témoin de la culbute, Sylvie Jolie éclate de rire:
"Viens voir Bérénice! Nous avons un acrobate!"

Le malheureux git toujours par terre. Bérénice accourt, catastrophée. Alors que le gamin ouvre les yeux, elle s'assure qu'il n'est pas désorienté :
"Comment tu t'appelles?
_ Mais enfin, Bérénice, tu sais bien qu'il s'appelle Léon, lui répond Sylvie Jolie.
_ En quelle année sommes-nous? reprend Bérénice sans se laisser dévier de son but.
_ En 2010, voyons! l'informe notre docte collègue. Tu es bizarre, aujourd'hui, Bérénice..."

Aux dernières nouvelles, Léon est toujours vivant. Pour Sylvie Jolie, nous n'en sommes plus si sûrs.

Pitou G.

mercredi 16 juin 2010

J+1 = 31

J'ai eu très envie de vous refaire le coup de l'an dernier : refuser de publier de nouveaux messages tant que le message précédent n'aurait pas recueilli plus de 31 commentaires (l'an dernier, c'était 30, que le temps file à toute allure!). Ça m'aurait laissé le temps d'engranger quelques articles - les fameux articles super léchés que je vous promets depuis, ouhlala, fort longtemps. Mais soyons fair play : le chantage, c'est mal (et pas bon pour les stats).

Je vous laissai avant-hier sur un cri déchirant de détresse, puisque je me préparais mentalement à enchaîner une longue journée de labeur et trois conseils palpitants de suspense, avant de me visser à mon poste de pâtissier à la chaîne. Hosannah, en rentrant harassé au bercail, je fus accueilli par l'exquise odeur des muffins de mon homme. Ça m'a libéré une soirée en amoureux.

Le lendemain matin, j'ai voulu faire de mon anniversaire une fête : j'ai mis une cravate. J'ai failli mourir étranglé une ou deux fois, mais c'était classe. Je l'ai quand même enlevée lors de ma virée au cloub de gym avec Follet (et je ne l'ai pas remise, ouh le félon, en retournant bosser).

En rentrant dans ma salle de cours, j'ai trouvé le triptyque du tableau refermé : ça sentait le traquenard à plein nez. Et quand il s'est ouvert sur une flopée de messages d'anniversaire dans toutes les langues de la tour de Babibel, 26 voix adolescentes ont entonné à tue-tête le traditionnel happy birthday to you. Il s'était manifestement produit un genre de fuite. N'ayez jamais confiance en vos collègues : ces gens-là ne sont pas fiables. Après enquête, il s'avère qu'I. et Follet, avec la complicité de YoungFather, du sournois D1kerquois, maître ès hypocrisie ("Je ne savais plus si tu avais cours dans cette salle-là, alors j'ai demandé aux élèves de ne pas ranger les chaises sur les tables", judas!) et de combien d 'autres conjurés? Comme les mômes passaient par là - ces spizaètes ornais cherchent toujours à se délester de leurs sacs pendant la récréation - et que mes deux collègues avaient d'authentiques têtes de comploteurs, ils ont eu vent de toute l'affaire. Ils ont évidemment essayé de me dater au carbone 14.
C'est décidé : je continue le sport. Ils m'ont donné trois ans de moins.

Pitou G.

P.S. : merci pour vos commentaires sur le billet précédent!
P.P.S. : ils viendront bien un jour, les supers articles promis. C'est bientôt les soldes, tiens . Vous en aurez treize à la douzaine!

lundi 14 juin 2010

J-1

Le blog est resté en friches toute cette semaine : je suis débordé - en plus, aujourd'hui, c'est J-1, c'est l'horreur, il faut en plus que je fasse de la pâtisserie. Mais je ne voulais pas vous laisser trop longtemps tout seuls, d'où ce message un peu facile (en même temps, il faut que je retourne au boulot dans un quart d'heure), tant pis pour tous ces beaux projets de messages sophistiqués, ça attendra que je sois vieux et chenu (donc incessamment sous peu).

Il y a un truc horripilant avec les rédactions en classe, c'est ces petites nanas super mal organisés qui gèrent leur temps comme des quiches et se rendent compte à moins cinq que, non, elles n'auront pas le temps de recopier mot pour mot leur joli brouillon propre. Alors elles vous supplient de bien vouloir accepter leur premier jet. Au moment de la correction, ce sont toujours les copies que je laisse pour la fin : en général, elles sont imbuvables; et souvent, en plus, elles vous réservent une petite touche de gaieté, la surprise du chef. En effet, la petite nana, pressée par la sonnerie, a en général oublié qu'elle y a gribouillé des bêtises. Le plus souvent, c'est une déclaration d'amour pour Kevin, un dessin de nounours ou une pensée édifiante ("comment que le cour kil est trop nul!"). Mais c'est la première fois que j'ai droit à une liste de courses...

Si tu vois trouble, clique sur l'image.

Ça sentirait bien la fête de fin d'année, ça, non?

Pitou G.

dimanche 6 juin 2010

Busted* Keaton

Un midi ordinaire dans la salle des profs d'Haquenée : deux collègues feignent de corriger des copies, deux autres râlent et Follet cherche partout ses clés qu'il a rangées dans son casier par réflexe, tout en m'accusant de l'avoir fait, parce que cinq minutes plus tôt j'avais profité de ses allées et venues pour cacher son tas de classeurs. Madame T., plus souvent factrice que secrétaire, arrive avec sa tournée du midi. Dans ses bras, parmi les habituelles paperasses, repose un lot d'enveloppes tilleul. Encore des invitations...

L'invitation, c'est la nouvelle passion du grand chef. Je subodore un juvénile engouement pour le scrapbooking, le macramé et autres loisirs créatifs, trop vite brimé par des parents austères. Là, il se rattrape : l'approche de l'été a réveillé sa marotte décorative, c'est devenu la priorité du mois de juin (il s'entraîne : il sent venir l'époque des barbecues). Il s'est emparé d'une suggestion de deux collègues proposant un spectacle de fin d'année et a décidé d'en faire une vitrine d'Haquenée, dans son obsession d'obtenir les honneurs de Vachebdo (comment que c'est trop bien ce qu'on fait à Haquenée!). Et comme il ne s'y est pas pris assez tôt pour réserver le Stade de France, il s'est défoulé sur les cartons d'invitation, signés à la main, distribués en deux, en trois exemplaires sous diverses versions.

Alors quand j'ai vu Mme T. glisser une nouvelle enveloppe dans chaque casier, je n'ai pas pu retenir un soupir :
"Encore une invitation? On va finir par se sentir obligé de venir!"
En face de moi, S. me regarde en écarquillant les yeux. Je n'arrive pas à lire sur ses lèvres les mots qu'elle articule en silence, mais je comprends que je viens de commettre un impair. Mme T. disparaît et S. me sermonne :
"Mais qu'est-ce qui t'a pris?Tu as été super méchant avec Mme T. en disant que tu allais te sentir obligé de venir à son pot de retraite!"
Gloups.
Grosse boulette.

Il ne me reste plus qu'à descendre dissiper ce malentendu et lui chanter "J'ai refusé par erreur votre invitation" (tudieu, ça a déjà 12 ans), en ne parlant pas trop fort pour éviter que depuis le bureau adjacent le chef n'apprenne que, son lutin de spectacle, je m'en tamponne le coquillard avec une patte d'alligator femelle (merci http://fr.wiktionary.org). Mme T. me répond en souriant, un peu gênée et sans penser maltraiter la logique la plus élémentaire, qu'elle ne l'avait pas pris pour elle et qu'elle ne m'avait même pas entendu. Je jette un coup d'oeil à la vitre : le chef est bien loin, devant la grille. Il n'a donc pas surpris cette embarrassante confession. Mais en passant devant un autre bureau, j'ai vu la chef adjointe se bidonner devant son ordinateur : soit elle venait de se rendre compte qu'au bout de trois ans, elle ne sait toujours pas utiliser le logiciel qui gère les emplois du temps, soit je me suis ridiculisé en beauté...

Pitou G

*busted : chopé, grillé, pincé, surpris en flagrant délit.

samedi 5 juin 2010

Orchestre bacchique

Cette semaine, les gnomes d'Haquenée sont à la campagne. Parmi les ébouriffantes activités proposées, ils pouvaient suivre Cinderella Lalouze dans sa carambolesque rocambolesque aventure musicale au pays des légumes. Hélas, la carotte taillée en pipeau vieillissant bien mal, ma collègue a dû se rabattre sur des plans de secours.
Le plus beau moment de cette année scolaire fut sans doute celui où mon stagiaire, heureux élu désigné pour accompagner Cinderella (sympa, les collègues!), l'entendit lancer, dans un élan d'enthousiasme :
"Allez! Entrechoquez vos noix!"

On va finir par croire qu'elle le fait exprès.

Pitou G.

vendredi 4 juin 2010

Découragement

À lire mes derniers billets, on dirait vraiment que mon moral, c'est pouët pouët et compagnie. Pourtant, je suis d'une humeur de dogue allemand. Il ne s'est pas produit d'événement tragique dans ma vie, du moins pas à l'heure où j'écris ces lignes, mais une lassitude étale m'a gagné. Je suis plongé dans les voeux d'orientation de mes ouailles, et ce que j'y vois me consterne. La métaphore du berger est bien trouvée : les mômes sont des moutons. Ils formulent en masse les mêmes voeux, reproduisant d'éternels a priori.

Je ne vais pas engager un débat sur la réforme de la seconde : on verra à l'usage ce que ça donnera. Elle a au moins le mérite d'offrir des parcours diversifiés et de partir de principe qu'un choix d'option ne détermine pas nécessairement la filière (ES, L, S - j'adopte à dessein l'ordre alphabétique). Ce n'est pas pour rien qu'on l'appelle seconde de détermination : il faut bien tester avant de faire un choix, non? Et bien, plus des trois quarts des élèves envisageant une seconde générale et technologique se sont positionnés sur la même option ("bah oui, faut faire ça pour aller en S!"), y compris ceux qui se vautrent dans les disciplines scientifiques. Je leur souhaiterais presque de tomber dans des classes à 40, tiens (ouh le vilain).
Je n'ose même pas évoquer le sort des langues anciennes. C'est la cata. Pourtant, ils seraient nombreux ceux qui s'en sortiraient à l'aise. J'essaie de convaincre, j'échoue. Pendant qu'ils bossaient en groupes, j'aborde la question avec Fillette et trois de ses camarades. Sans se démonter, sans que je puisse vous dire si elle se rendait vraiment compte de la portée de ses paroles, elle s'enflamme :

"Il faut nous comprendre, aussi! On a eu une mauvaise expérience avec le latin! Mes parents m'avaient forcés (NdP* : je les proposerais volontiers pour la légion d'honneur)
_ Attends, Fillette : je t'arrête tout de suite. Ta mauvais expérience, c'est moi pendant trois ans. Alors réfléchis un peu à ce que tu dis!"

Une de ses copines a mis un peu d'eau sur les braises en soulignant qu'ils avaient appris plein de trucs. Merci pour moi. Mais ça ne m'a pas trop rassuré. La conversation s'est poursuivie un peu plus tard avec Fillette et s'est close sur un mouvement d'humeur : "Tu ne poursuis pas, c'est ton choix, c'est dommage. Et c'est tant pis pour toi, pas pour le latin". Bilan : avec ce cru prometteur, j'aurai un taux de poursuite inférieur à celui de la classe des poètes l'an dernier (qui, pour mémoire, étaient deux fois moins nombreux). Ajoutez à cela que le recrutement de mes débutants l'an prochain est loin d'être garanti, malgré quatre heures prises sur mon temps libre pour présenter l'option, dans des séances au demeurant bien accueillies. Non seulement je suis dégoûté, mais je ne comprends pas ce que j'ai fait de travers.

Au rythme où ça va, je n'ai plus qu'à préparer mes bagages, parce que dans le contexte actuel, ça fleure bon la fermeture de poste...

Pitou G.

*NdP : Note de Pitou

jeudi 3 juin 2010

Polonie de mon choeur

L'eurovision et les anniversaires dans ma belle-famille ne furent pas les seules réjouissances du week-end dernier. Nous nous sommes de bonne grâce pliés au rituel de l'escale chez Sabybanana. La marraine de nos chats possède depuis plusieurs années un trésor ramené d'Orient. Dit comme ça, on s'attend à de l'encens, de l'or, de la myrrhe et des soieries : mais toutes ces richesses sont superfétatoires lorsqu'on détient un CD de musique classique acheté en Pologne.

" Il y avait tous les morceaux que j'aime et c'était vraiment pas cher. Evidemment, j'ai compris pourquoi dès la première écoute", se défend l'intéressée.

Pas facile de choisir parmi toutes les merveilles de l'album. C'est la première fois qu'un CD de musique classique contribue à muscler mes abdos : le fou-rire va crescendo. Tant pis pour Tristesse qui n'a jamais aussi bien porté son titre (Chopin n'a pas fini de se lamenter), pour un Lac des Cygnes pimpant et sautillant, pour l'Ave Maria de Gounod qui attend encore qu'on l'achève... Les deux gagnants sont :





Dites, il est d'origine polonaise, Charly Oleg?

Pitou G.

mardi 1 juin 2010

Niarnialice au pays des merveilles

J'ai une astuce pour ne pas payer le cinéma : je n'y vais que pour accompagner des élèves. Ce n'est pas que je mourais d'envie de voir Alice au pays des merveilles, ni même que je brûlais de rendre service à Daisy, ma collègue handicapée vocale; mais refuser d'encadrer les deux seules classes que j'aurais dû avoir en cours était difficilement défendable.

Je ne sais pas si vous êtes allés voir ce film, ni même si Tim Burton est encore vivant (ce dont je doute fortement après visionnage du film), mais c'est une sortie parfaitement contournable. J'ai eu l'impression d'assister à un remake de Narnia. J'attendais quelque chose de moins insipide de la part de Burton, qu'on sente un peu sa patte, quoi!
Et puis ce n'est pas parce qu'on bascule dans le merveilleux qu'on doit mutiler la vraisemblance à coups de hache : faire parler les animaux ne vous autorise pas à rendre toute docile la méchante créature, sans aucune explication; et j'ai un peu tiqué quand j'ai vu que la gentille reine blanche chassée du trône par sa vilaine soeur vivait peinarde dans son château, tandis que le chapelier sombrait dans la folie au milieu de la forêt. Argh! la bluette entre le chapelier fou et Alice! je m'en serais bien dispensé aussi! On connaît la tendresse du réalisateur pour les dingues et les marginaux, mais les personnages de Lewis Carroll, si peu hospitaliers dans le roman, sont ici sacrément édulcorés. Attention, c'est loin d'être une daube, il y a même quelques belles idées; pas de quoi soulever l'enthousiasme, cependant.

En sortant de la salle, sur le trottoir et sous la bruine, les mômes m'ont évidemment pressé de questions pour savoir si j'avais aimé. J'aurais eu grand peine à masquer mon ennui, alors je leur ai dit en substance ce que vous venez de lire. Mais Agapito a été pris d'une fièvre investigatrice et a voulu creuser jusqu'au pays des merveilles:
"Mais au moins, vous n'avez pas été insensible aux charmes de la jeune fille, non?"

Tous les autres ont éclaté de rire.
On se demande vraiment pourquoi.

Pitou G.