Le blog coruscant et capricant d'un couple de garçons en retour d'exil

vendredi 4 juin 2010

Découragement

À lire mes derniers billets, on dirait vraiment que mon moral, c'est pouët pouët et compagnie. Pourtant, je suis d'une humeur de dogue allemand. Il ne s'est pas produit d'événement tragique dans ma vie, du moins pas à l'heure où j'écris ces lignes, mais une lassitude étale m'a gagné. Je suis plongé dans les voeux d'orientation de mes ouailles, et ce que j'y vois me consterne. La métaphore du berger est bien trouvée : les mômes sont des moutons. Ils formulent en masse les mêmes voeux, reproduisant d'éternels a priori.

Je ne vais pas engager un débat sur la réforme de la seconde : on verra à l'usage ce que ça donnera. Elle a au moins le mérite d'offrir des parcours diversifiés et de partir de principe qu'un choix d'option ne détermine pas nécessairement la filière (ES, L, S - j'adopte à dessein l'ordre alphabétique). Ce n'est pas pour rien qu'on l'appelle seconde de détermination : il faut bien tester avant de faire un choix, non? Et bien, plus des trois quarts des élèves envisageant une seconde générale et technologique se sont positionnés sur la même option ("bah oui, faut faire ça pour aller en S!"), y compris ceux qui se vautrent dans les disciplines scientifiques. Je leur souhaiterais presque de tomber dans des classes à 40, tiens (ouh le vilain).
Je n'ose même pas évoquer le sort des langues anciennes. C'est la cata. Pourtant, ils seraient nombreux ceux qui s'en sortiraient à l'aise. J'essaie de convaincre, j'échoue. Pendant qu'ils bossaient en groupes, j'aborde la question avec Fillette et trois de ses camarades. Sans se démonter, sans que je puisse vous dire si elle se rendait vraiment compte de la portée de ses paroles, elle s'enflamme :

"Il faut nous comprendre, aussi! On a eu une mauvaise expérience avec le latin! Mes parents m'avaient forcés (NdP* : je les proposerais volontiers pour la légion d'honneur)
_ Attends, Fillette : je t'arrête tout de suite. Ta mauvais expérience, c'est moi pendant trois ans. Alors réfléchis un peu à ce que tu dis!"

Une de ses copines a mis un peu d'eau sur les braises en soulignant qu'ils avaient appris plein de trucs. Merci pour moi. Mais ça ne m'a pas trop rassuré. La conversation s'est poursuivie un peu plus tard avec Fillette et s'est close sur un mouvement d'humeur : "Tu ne poursuis pas, c'est ton choix, c'est dommage. Et c'est tant pis pour toi, pas pour le latin". Bilan : avec ce cru prometteur, j'aurai un taux de poursuite inférieur à celui de la classe des poètes l'an dernier (qui, pour mémoire, étaient deux fois moins nombreux). Ajoutez à cela que le recrutement de mes débutants l'an prochain est loin d'être garanti, malgré quatre heures prises sur mon temps libre pour présenter l'option, dans des séances au demeurant bien accueillies. Non seulement je suis dégoûté, mais je ne comprends pas ce que j'ai fait de travers.

Au rythme où ça va, je n'ai plus qu'à préparer mes bagages, parce que dans le contexte actuel, ça fleure bon la fermeture de poste...

Pitou G.

*NdP : Note de Pitou

8 commentaires:

MamyS a dit…

Je déteste les fins d'année.....

Guilitti a dit…

celà dit, ils n'ont pas complètement tort.. le latin....
^^pas taper, pas taper !

inci a dit…

Oh comme je comprends et compatis! Le principal de mon collège - qui fait aussi lycée - m'a dit qu'il espérait avoir une petite dizaine de latinistes en seconde. Je lui ai annoncé que je n'étais pas vraiment sûre qu'il les aurait.
Personnellement, ce manque d'intérêt des mômes pour une langue aussi belle et riche que le latin me rend malade. Je ne sais plus quoi faire pour les y intéresser ne serait-ce qu'un tout petit peu.
Je ressens complètement la détresse que tu exprimes très bien dans ton message. A la fin, il n'y a plus qu'à se résigner en pensant "tant pis pour eux, le latin ne les mérite pas". Mais c'est quand même triste.

Dame du phare a dit…

j'ai adoré faire du latin et du grec. Bon, d'accord c'était dans un autre siècle et j'ai tout perdu sauf un inperceptible enrichissement jusqu'au jour où j'ai du reprendre du latin médiéval j'étais ben aise tout de même d'avoir un peu étudié Ciceron...

Guilitti a dit…

pour te rassurer, notre lycée, un des plus gros de l'académie a perdu son option latin il y a une petite dizaine d'année. Le proviseur nous a annoncé sa réouverture à la rentrée, les collèges de secteur semblent avoir un vivier... A suivre, donc...

Je pense qu'en fait, faire latin, c'est accepter de faire des efforts. (heures de cours, en plus, vocab à apprendre..) Et.. faire des efforts, c'est un concept complètement dépassé, incroyablement ringard.. En plus ça sert à rien, vu que c'est juste pour la culture, qui, on le sait bien, nous est dispensée gratuitement sur TF1 et M6 sans effort de compréhension.

Anonyme a dit…

Pitou G.,
Moi, j'avais très peur d'une fermeture de poste à cause d'une fermeture d'option (dans mon lycée, le latin est moribond et la réforme n'y changera rien ; peut-être même empirera-t-elle la situation). Renseignements pris, si l'option est fermée, ton poste ne saute pas forcément ; tu ne fais plus que du français (je sais, c'est pas le top) et tu es compté pour l'ordre d'arrivée dans l'établissement avec les lettres modernes. Voilà tout ce que je peux dire. Eponine (qui lit tjrs mais sans commenter).

Les Pitous a dit…

MamyS=> Paradoxalement, elles sont plus stressantes que les rentrées!

Guilitti=> Baisse la tête pour éviter les coups! Rappeler les avantages concrets des langues anciennes est usant mais nécessaire. Je me suis fendu d'un courrier qui sera distribué dès lundi, en espérant que cela amènera quelques parents et enfants à réexaminer leur choix. Tout de même trois fois moins de volontaires qu'en 2009-2010! Pour ce qui est de la culture de l'effort, je te rejoins. Le réflexe du moins-faisant est effrayant!

Inci=> ce n'est pas facile pour les amoureux du latin d'admettre que tant de monde s'en fiche. Et c'est un peu triste d'avoir à évoquer des arguments très terre-à-terre pour défendre son enseignement (ne nous leurrons pas, les critères esthétiques et le mystère magique des langues anciennes ne feront jamais mouche). Je suis d'autant plus inquiet que, contrairement à ce que j'ai prétendu devant Fillette, c'est évidemment le latin qui sortira perdant de cette histoire : entre l'effort et la glandouille, qui hésite encore aujourd'hui?

Larkéo=> Ton expérience confirme bien l'idée que les bénéfices du latin se mesurent sur le long terme et oeuvrent en profondeur. Mais aujourd'hui, les parents ne veulent pas avoir l'impression de contraindre leurs enfants qui, et c'est logique, ne voient pas plus loin que leur bien-être immédiat.

Eponine=> Les textes sont assez flous en ce qui concerne l'ordre des postes à supprimer. Je crois que l'ancienneté dans le poste est une règle non écrite pas toujours respectée. De toute façon, comme tu le remarques toi-même, même si mon poste n'est pas directement menacé, ne plus enseigner les langues anciennes serait une énorme frustration. La fermeture de cette option, jusqu'alors communément offerte partout, entraînerait une perte de moyens. J'ai l'impression que le public de notre bahut change petit à petit, ce qui est en partie lié à la contorsion de la carte scolaire. Mais je ne peux pas m'empêcher de vivre tout ça comme un échec personnel, d'autant plus dur à avaler qu'il est extrêmement soudain. Et je crois sincèrement que quatre bahuts offrant la même option dans une ville, c'est un terrain de jeu fabuleux pour les traqueurs de quatre sous... Merci d'être toujours là ;)

inci a dit…

Tu parles des parents qui n'osent plus contraindre leurs enfants. Dans le privé, c'est un peu (beaucoup) le contraire, et malheureusement, je dois dire. Avoir une classe de trente élèves, dont trois motivés, est juste infernal. Le principal se félicite du taux d'élèves qui continuent, mais à trente dans une classe, on ne fait rien. Et trois continuent en seconde.
Cela dit, pour ce que tu dis sur la culture de l'effort, je suis tout à fait d'accord. Même les meilleurs éléments n'ont pas compris que les déclinaisons s'apprennent comme les tables de multiplication. C'est du latin, donc ils n'apprennent pas. Et ça, ça me laisse sur le cul. Je me demande où on va quand on a ce genre de mentalité... Perso je n'aime pas apprendre par coeur, et je n'ai jamais appris le vocabulaire, mais pour compenser, j'ai appris à utiliser un dictionnaire. Eux, c'est ni l'un ni l'autre. Ils voudraient n'avoir rien à faire. Même lire un texte d'une page - en français - c'est trop! Je trouve ça flippant.
En tout cas, toute cette discussion est fort intéressante, bien que fondamentalement angoissante.