Ça sent la rentrée à plein nez. Il est temps de mettre de côtés nos belles histoires de thalasso et de réchauffer un billet projeté avant les vacances, pas écrit pour cause de flemme.
Ecrire une suite de texte, c'est un sujet bateau. Plus bateau en tout cas que :
"Imaginez que votre prof tient un blog et qu'il y raconte vos perles. Ecrivez trois de ses billets, correspondant à trois anecdotes différentes. Vous utiliserez tous les procédés du foutage de gueule."
Inventer une suite, disais-je, les mômes y sont entraînés depuis des lustres. Quand il a fallu proposer le brevet blanc, on s'est réunis et on a dit banco. Nous n'avions pas prévu que, se croyant invités à imaginer sans contrainte et se sentant investis d'une totale liberté, ils écriraient absolument n'importe quoi, n'importe comment. Le pire étant sans doute qu'ils sont sortis de là en disant : "Comment qu'c'était trop facile!" Ben voyons...
Le texte support était un extrait de l'inoubliable auteur de la Guerre des boutons (si on aurait su, on s'aurait abstenus). La Guerre des boutons, c'était un sujet trop sensible pour des collégiens sujet à l'acné. Nous nous sommes donc rabattus sur l'autre chef d'oeuvre (?) de L. Pergaud, Le Roman de Miraut, chiend'aveugle de chasseur . Je pense que vous êtes bien peu à connaître ce livre : c'est parce que Pergaud n'était pas un visionnaire; il aurait été mieux inspiré d'écrire une histoire de poney, de dauphin ou de panda roux. Mais bon, un corniaud, ça pouvait faire l'affaire.
Avant d'en venir aux élucubrations dont j'ai dû me farcir la correction, je vais tenter de vous résumer la situation : Lisée est un pauvre braconnier (on les voit rarement dans les Palaces, les braconniers, en même temps), un brave homme marié à une espèce de mégère. Sa femme l'oblige à vendre Miraut, le chien qu'il aime tant. La fidèle bête ne supporte pas la séparation et ne cesse de rôder près de son ancien maître. Il est devenu sale, malade et a perdu toute confiance dans le genre humain. Lorsque la mégère finit par lui jeter des cailloux et que Lisée lui tourne le dos, Miraut s'éloigne du village et hurle à la mort.
Il y a eu quelques légers soucis d'incohérence dans les machins que j'ai eu sous les yeux, à commencer par le nom du chien. Dans une seule et même copie, Miraut a répondu aux noms de Meraud, de Mirtaud et de Merlaud. Dans la plupart des récits, le chien est télétransporté au milieu du village qu'il s'empresse de requitter (Pergaud n'avait pas assez bien écrit son départ, je pense). Assez souvent, il marche un peu, tombe sur une cabane isolée où vit une dame élégante (les vraies ladies vivent dans des masures au milieu des bois) et celle-ci, dès le premier coup d'oeil sur la bête miteuse, décide de l'adopter en le rebaptisant au choix Espoir, Lancelot ou Tobby. Comme le chien se montre méfiant envers les humains, il s'empresse de lui sauter dans les bras et de lui lécher la figure. La dame va en ville, emmène son chien et tombe amoureuse de Lisée dont la femme vient justement de mourir, si c'est pas de la veine tout ça.
La méchante épouse a trouvé la mort dans pas mal de copies : nos chères têtes blondes sont des justiciers qui punissent les bourreaux d'animaux. Une fois, par exemple, elle est morte de la grippe parce que Miraut hurlait tous les soirs (là, faut revoir les cours de science). C'est invraisemblable. D'autres fois, elle devient subitement gentille et fait tout pour ramener le chien à la maison. C'est invraisemblable et grotesque. Mais que dire de tous ceux qui ont tout simplement oublié l'existence de la mégère et ont raconté comment Lisée est parti chercher son chien avec trois ballisto au fond du sac? Ça donne lieu à d'émouvantes retrouvailles où le brave homme fait son mea culpa, et là je cite : "Désolé disa Lisée" (à répéter vingt fois très vite).
D'autres ont fait le choix, sans doute plus judicieux, de ne plus parler de Lisée. On suit alors les pérégrinations du chien, souvent amené à se faire de nouveaux amis. Ici, il tombe amoureux de Mirette. Là, il rencontre un autre chien errant, un loup rejeté par les autres et un petit ours brun qu'ils chassent de sa grotte, ils forment un gang et, à eux quatre (je n'ai pas compris comment l'ours est devenu leur pote), ils se rendent maîtres de la forêt.
Plus souvent, Miraut est appâté par un sandwich piégé de la fourrière. Le lendemain, il est adopté et tout va pour le mieux. Mais le chien n'a pas toujours besoin d'entremetteurs : lorsqu'il quitte le village, il est bien décidé à se trouver un gentil maître. Parce que vous, adultes sans coeur, vous avez oublié un détail important : un chien, ça a des sentiments, des projets et des pensées métaphysiques (tiens, je ne vous ai pas parlé du Miraut qui fait cent kilomètres pour aller mourir sur la plage en se posant des questions existentielles?).
Voilà qui nous amène à la perle des perles. Plus surprenant que le pauvre Lisée qui offre une récompense de 100 pièces d'or pour retrouver Miraut et achète un chien policier pour mener l'enquête. Plus palpitant que le chien qui résout une mystérieuse affaire d'enlèvement et devient un héros. Plus fascinant que le chien qui doit à tout prix arriver au village dont il voit le clocher et qu'il ne peut atteindre qu'en faisant de l'autostop. Plus passionnant que le récit détaillé du nettoyage de Miraut par Lisée (il faut bien 25 lignes pour dire dans quel sens il faut frotter). Plus stupéfiant que le chien kidnappé par des brigands et qu'on assassine au fond d'une grotte (et là, encore, je ne vous parle que des histoires que j'ai pu comprendre). Plus fort que tout cela : l'opération commando. Miraut, avec un autre petit chien abandonné, échaffaude un plan diabolique. Pendant que son compagnon fait legay guet, il se glisse subrepticement dans la maison vide, verse avec sa petite patte de la mort aux rats dans le verre qui contient le dentier de la mégère (j'en déduis qu'elle a quitté la maison sans ses dents). Le lendemain, Lisée, veuf joyeux, reprend Miraut et adopte l'autre petit chien (pour remplacer sa femme?).
Sérieusement, je tombe des nues en constatant que des ado, spécialistes des choses de l'amour, n'arrivent pas à admettre qu'on puisse préférer sa femme à son chien...
Pitou G
Edit de 23h: je viens de me souvenir qu'il y avait une perle plus éblouissante que la perle des perles! Le chien qui parle (pour dire des trucs genre "mé téfou", on est loin des rêveries métaphysiques lues par ailleurs)! Il veut aller dans la cuisine du village pour aller voler des saucisses, mais les habitants du village, qui sont soudainement devenus de cruels mangeurs de chiens rachitiques, lui ont tendu un guet-apens. Heureusement, le chien trouve une trappe (qu'il soulève à la force de ses papattes musclées). Et quand il voit la lumière au bout du tunnel, il se croit sauvé; mais les villageois cynophages l'attendent. Je vais vous frustrer, mais j'ai oublié comment ça se termine (je crois qu'il saute au-dessus de leur tête et disparaît fissa dans les broussailles - je m'en serais souvenu si Miraut avait fini en hot-dog). Que je me sois empressé d'oublier ce récit est le signe rassurant que mon subconscient filtre tout ce qui est susceptible d'attenter à ma santé mentale.
Ecrire une suite de texte, c'est un sujet bateau. Plus bateau en tout cas que :
"Imaginez que votre prof tient un blog et qu'il y raconte vos perles. Ecrivez trois de ses billets, correspondant à trois anecdotes différentes. Vous utiliserez tous les procédés du foutage de gueule."
Inventer une suite, disais-je, les mômes y sont entraînés depuis des lustres. Quand il a fallu proposer le brevet blanc, on s'est réunis et on a dit banco. Nous n'avions pas prévu que, se croyant invités à imaginer sans contrainte et se sentant investis d'une totale liberté, ils écriraient absolument n'importe quoi, n'importe comment. Le pire étant sans doute qu'ils sont sortis de là en disant : "Comment qu'c'était trop facile!" Ben voyons...
Le texte support était un extrait de l'inoubliable auteur de la Guerre des boutons (si on aurait su, on s'aurait abstenus). La Guerre des boutons, c'était un sujet trop sensible pour des collégiens sujet à l'acné. Nous nous sommes donc rabattus sur l'autre chef d'oeuvre (?) de L. Pergaud, Le Roman de Miraut, chien
Avant d'en venir aux élucubrations dont j'ai dû me farcir la correction, je vais tenter de vous résumer la situation : Lisée est un pauvre braconnier (on les voit rarement dans les Palaces, les braconniers, en même temps), un brave homme marié à une espèce de mégère. Sa femme l'oblige à vendre Miraut, le chien qu'il aime tant. La fidèle bête ne supporte pas la séparation et ne cesse de rôder près de son ancien maître. Il est devenu sale, malade et a perdu toute confiance dans le genre humain. Lorsque la mégère finit par lui jeter des cailloux et que Lisée lui tourne le dos, Miraut s'éloigne du village et hurle à la mort.
Il y a eu quelques légers soucis d'incohérence dans les machins que j'ai eu sous les yeux, à commencer par le nom du chien. Dans une seule et même copie, Miraut a répondu aux noms de Meraud, de Mirtaud et de Merlaud. Dans la plupart des récits, le chien est télétransporté au milieu du village qu'il s'empresse de requitter (Pergaud n'avait pas assez bien écrit son départ, je pense). Assez souvent, il marche un peu, tombe sur une cabane isolée où vit une dame élégante (les vraies ladies vivent dans des masures au milieu des bois) et celle-ci, dès le premier coup d'oeil sur la bête miteuse, décide de l'adopter en le rebaptisant au choix Espoir, Lancelot ou Tobby. Comme le chien se montre méfiant envers les humains, il s'empresse de lui sauter dans les bras et de lui lécher la figure. La dame va en ville, emmène son chien et tombe amoureuse de Lisée dont la femme vient justement de mourir, si c'est pas de la veine tout ça.
La méchante épouse a trouvé la mort dans pas mal de copies : nos chères têtes blondes sont des justiciers qui punissent les bourreaux d'animaux. Une fois, par exemple, elle est morte de la grippe parce que Miraut hurlait tous les soirs (là, faut revoir les cours de science). C'est invraisemblable. D'autres fois, elle devient subitement gentille et fait tout pour ramener le chien à la maison. C'est invraisemblable et grotesque. Mais que dire de tous ceux qui ont tout simplement oublié l'existence de la mégère et ont raconté comment Lisée est parti chercher son chien avec trois ballisto au fond du sac? Ça donne lieu à d'émouvantes retrouvailles où le brave homme fait son mea culpa, et là je cite : "Désolé disa Lisée" (à répéter vingt fois très vite).
D'autres ont fait le choix, sans doute plus judicieux, de ne plus parler de Lisée. On suit alors les pérégrinations du chien, souvent amené à se faire de nouveaux amis. Ici, il tombe amoureux de Mirette. Là, il rencontre un autre chien errant, un loup rejeté par les autres et un petit ours brun qu'ils chassent de sa grotte, ils forment un gang et, à eux quatre (je n'ai pas compris comment l'ours est devenu leur pote), ils se rendent maîtres de la forêt.
Plus souvent, Miraut est appâté par un sandwich piégé de la fourrière. Le lendemain, il est adopté et tout va pour le mieux. Mais le chien n'a pas toujours besoin d'entremetteurs : lorsqu'il quitte le village, il est bien décidé à se trouver un gentil maître. Parce que vous, adultes sans coeur, vous avez oublié un détail important : un chien, ça a des sentiments, des projets et des pensées métaphysiques (tiens, je ne vous ai pas parlé du Miraut qui fait cent kilomètres pour aller mourir sur la plage en se posant des questions existentielles?).
Voilà qui nous amène à la perle des perles. Plus surprenant que le pauvre Lisée qui offre une récompense de 100 pièces d'or pour retrouver Miraut et achète un chien policier pour mener l'enquête. Plus palpitant que le chien qui résout une mystérieuse affaire d'enlèvement et devient un héros. Plus fascinant que le chien qui doit à tout prix arriver au village dont il voit le clocher et qu'il ne peut atteindre qu'en faisant de l'autostop. Plus passionnant que le récit détaillé du nettoyage de Miraut par Lisée (il faut bien 25 lignes pour dire dans quel sens il faut frotter). Plus stupéfiant que le chien kidnappé par des brigands et qu'on assassine au fond d'une grotte (et là, encore, je ne vous parle que des histoires que j'ai pu comprendre). Plus fort que tout cela : l'opération commando. Miraut, avec un autre petit chien abandonné, échaffaude un plan diabolique. Pendant que son compagnon fait le
Sérieusement, je tombe des nues en constatant que des ado, spécialistes des choses de l'amour, n'arrivent pas à admettre qu'on puisse préférer sa femme à son chien...
Pitou G
Edit de 23h: je viens de me souvenir qu'il y avait une perle plus éblouissante que la perle des perles! Le chien qui parle (pour dire des trucs genre "mé téfou", on est loin des rêveries métaphysiques lues par ailleurs)! Il veut aller dans la cuisine du village pour aller voler des saucisses, mais les habitants du village, qui sont soudainement devenus de cruels mangeurs de chiens rachitiques, lui ont tendu un guet-apens. Heureusement, le chien trouve une trappe (qu'il soulève à la force de ses papattes musclées). Et quand il voit la lumière au bout du tunnel, il se croit sauvé; mais les villageois cynophages l'attendent. Je vais vous frustrer, mais j'ai oublié comment ça se termine (je crois qu'il saute au-dessus de leur tête et disparaît fissa dans les broussailles - je m'en serais souvenu si Miraut avait fini en hot-dog). Que je me sois empressé d'oublier ce récit est le signe rassurant que mon subconscient filtre tout ce qui est susceptible d'attenter à ma santé mentale.
6 commentaires:
Quelle imagination débordante! Même si je ne doute pas que tu as sélectionné le meilleur...
C'est pas juste, en latin je n'aurai pas droit à de telles perles! Mes élèves manquent d'originalité et se contentent d'aligner les horreurs grammaticales. (Je devrais peut-être essayer de leur faire faire une écriture d'invention... ça changerait. "Décrivez les retrouvailles d'Achille et Patrocle aux Enfers"... mouais.)
"Lisée est parti chercher son chien avec trois ballisto au fond du sac" omg, tes élèves lisent Phoebe??
Miraud chien d'aveugle
Ouaf ouaf ouaf
Tu as bien mérité un bon nonos pour celle-là!
Je vois que les Ballisto reviennet à la mode, mais les tribulations de ce (pauvre) chien sont pathétiques vous êtes des insensibles et des sans coeur
Dis-moi, elle finit comment, l'histoire, en vrai ?
Ah, que de doux souvenirs !
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