Parmi mes 5e, j'ai un élève hors norme.
Une perle.
Une fève.
Le pauvre n'a pas beaucoup de chance. Déjà il a un prénom de Dalton (mais il ne s'appelle pas Äverell). - ce qui n'aide pas - et pour de nombreuses raisons personnelles sinistres dans l'ensemble, cherche de toute évidence à attirer l'attention par son comportement.
Imaginez un visage extrêmement mobile, s'agitant d'expressions caricaturales. Imaginez une démarche, des gestes théâtraux.
Ajoutez une voix étrange, qui vire souvent dans les aigus. Voilà, c'est Joëy. Mais comme il est un peu dyslexique, il prononce "Tchoëy".
Il parle de lui à la troisième personne. Comme Dobby.
Et l'on ne sait jamais ce qu'il va dire/faire/écrire.
Au début, je l'ai beaucoup repris, grondé, puni. Mais en vain. Le fourbe - ou l'innocent - j'hésite encore - jure ses grands dieux qu'il a compris et qu'on ne l'y reprendra plus. Et d'ailleurs, il fait des efforts, mais c'est plus fort que lui, son ingénuité et son sens du show le reprennent toujours.
Quelques brèves (et l'écrit ne rend pas toute la puissance du spectacle vivant, croyez-moi):
- Pour les erreurs d'orthographe, j'ai tracé de petits bâtons sur vos copies.
- C'est quoi un bâton?
Au cours d'une leçon de vocabulaire sur la composition des mots:
- Mais alors, Choëy, il a un suffixe?
Lisant une phrase, il remplace "déménageur" par "démangeur". Je le corrige et il sort:
- Ah oui, c'est un gitan, un déménageur, quoi... Mais j'en ai dans ma famille alors respect!"
Au milieu de rien:
- C'est qui qui a inventé le français? C'est vous?
Plusieurs élèves:
- Charlemagne!
- Napoléon!
- Non c'est toi Choëy!
- Mais non, ils sont morts! Et moi j'étais pas né.
-Reprenons donc le présent de l'indicatif.
- C'est qui?
Dans une séquence sur les récits de chevalerie, j'ai donné à apprendre deux strophes d'une poésie De Bernard De Ventadour, "Mon coeur soupire..."
Choëy m'a donné bien des occasions de soupirer.
La première fois, il n'arrivait pas à garder son sérieux, pouffait puis fustigeait ses camarades évidemment déridés par ses grimaces clownesques.
- Attendez , Monsieur, c'est l'émotion, y a trop de pression! a-t-il conclu alors que je le renvoyai à sa place.
Hier, Choëy avait une belle écharpe violette, avec laquelle il ne cessait de jouer. Avant de quitter sa place, il l'installe sur sa chaise et, lui faisant un signe de l'index, dit: "Pas bouger!"
Pour ne pas se déconcentrer, il s'est placé face au tableau. Las... cela ne l'a pas empêché de se retourner pour réclamer du calme et invectiver Séraphin, pourtant retourné pour ne pas céder au fou rire:
- Ça suffit Séraphin, tu te calmes! Choëy, y peut pas réciter!
Il a finalement pu réciter, cahin caha. Il maîtrisait presque le texte, au moins la première strophe. A la fin du poème, un blanc.
(à voix basse)
- Comment il s'appelle?...
(plus bas)
- Jean-Claude?
Comment ne pas pleurer... de rire ou de désespoir? De retour à sa place, il empoigne son écharpe et me propose:
- Je peux le faire avec ça? (il la met sur ses yeux)
- Tu veux réciter le poème les yeux bandés?
- Choëy peut?
- Non.
Aujourd'hui, pour son troisième passage, il était plus motivé que jamais, avant même de rentrer en classe. Je l'ai tout de même fait patienter, préférant laisser à ses camarades une chance de passer dans le calme. Et là, le Miracle a eu lieu. Face à la classe silencieuse, Choëy a récité parfaitement. Grisé par la situation, il oublie juste les deux derniers vers. Ses camarades applaudissent - personne n'a noté l'oubli. Grand prince, je lui demande de recommencer la deuxième strophe. Il s'exécute, sans accroc, et au moment d'énoncer le nom du poète:
- Vernard de Bentatour
Une perle.
Une fève.
Le pauvre n'a pas beaucoup de chance. Déjà il a un prénom de Dalton (mais il ne s'appelle pas Äverell). - ce qui n'aide pas - et pour de nombreuses raisons personnelles sinistres dans l'ensemble, cherche de toute évidence à attirer l'attention par son comportement.
Imaginez un visage extrêmement mobile, s'agitant d'expressions caricaturales. Imaginez une démarche, des gestes théâtraux.
Ajoutez une voix étrange, qui vire souvent dans les aigus. Voilà, c'est Joëy. Mais comme il est un peu dyslexique, il prononce "Tchoëy".
Il parle de lui à la troisième personne. Comme Dobby.
Et l'on ne sait jamais ce qu'il va dire/faire/écrire.
Au début, je l'ai beaucoup repris, grondé, puni. Mais en vain. Le fourbe - ou l'innocent - j'hésite encore - jure ses grands dieux qu'il a compris et qu'on ne l'y reprendra plus. Et d'ailleurs, il fait des efforts, mais c'est plus fort que lui, son ingénuité et son sens du show le reprennent toujours.
Quelques brèves (et l'écrit ne rend pas toute la puissance du spectacle vivant, croyez-moi):
- Pour les erreurs d'orthographe, j'ai tracé de petits bâtons sur vos copies.
- C'est quoi un bâton?
Au cours d'une leçon de vocabulaire sur la composition des mots:
- Mais alors, Choëy, il a un suffixe?
Lisant une phrase, il remplace "déménageur" par "démangeur". Je le corrige et il sort:
- Ah oui, c'est un gitan, un déménageur, quoi... Mais j'en ai dans ma famille alors respect!"
Au milieu de rien:
- C'est qui qui a inventé le français? C'est vous?
Plusieurs élèves:
- Charlemagne!
- Napoléon!
- Non c'est toi Choëy!
- Mais non, ils sont morts! Et moi j'étais pas né.
-Reprenons donc le présent de l'indicatif.
- C'est qui?
Dans une séquence sur les récits de chevalerie, j'ai donné à apprendre deux strophes d'une poésie De Bernard De Ventadour, "Mon coeur soupire..."
Choëy m'a donné bien des occasions de soupirer.
La première fois, il n'arrivait pas à garder son sérieux, pouffait puis fustigeait ses camarades évidemment déridés par ses grimaces clownesques.
- Attendez , Monsieur, c'est l'émotion, y a trop de pression! a-t-il conclu alors que je le renvoyai à sa place.
Hier, Choëy avait une belle écharpe violette, avec laquelle il ne cessait de jouer. Avant de quitter sa place, il l'installe sur sa chaise et, lui faisant un signe de l'index, dit: "Pas bouger!"
Pour ne pas se déconcentrer, il s'est placé face au tableau. Las... cela ne l'a pas empêché de se retourner pour réclamer du calme et invectiver Séraphin, pourtant retourné pour ne pas céder au fou rire:
- Ça suffit Séraphin, tu te calmes! Choëy, y peut pas réciter!
Il a finalement pu réciter, cahin caha. Il maîtrisait presque le texte, au moins la première strophe. A la fin du poème, un blanc.
(à voix basse)
- Comment il s'appelle?...
(plus bas)
- Jean-Claude?
Comment ne pas pleurer... de rire ou de désespoir? De retour à sa place, il empoigne son écharpe et me propose:
- Je peux le faire avec ça? (il la met sur ses yeux)
- Tu veux réciter le poème les yeux bandés?
- Choëy peut?
- Non.
Aujourd'hui, pour son troisième passage, il était plus motivé que jamais, avant même de rentrer en classe. Je l'ai tout de même fait patienter, préférant laisser à ses camarades une chance de passer dans le calme. Et là, le Miracle a eu lieu. Face à la classe silencieuse, Choëy a récité parfaitement. Grisé par la situation, il oublie juste les deux derniers vers. Ses camarades applaudissent - personne n'a noté l'oubli. Grand prince, je lui demande de recommencer la deuxième strophe. Il s'exécute, sans accroc, et au moment d'énoncer le nom du poète:
- Vernard de Bentatour
De bonne foi, sans tromperie,
J'aime la plus belle et meilleure.
Mon coeur soupire, mes yeux pleurent,
De trop l'aimer pour mon malheur.
Mais qu'y puis-je si l'amour m'a pris,
Si la prison où il m'a mis
A pour seule clé la merci
Qu'en elle je ne trouve point?
Cet amour me blesse le coeur
D'une saveur si gente et douce
Que si cent fois par jour je meurs
Cent fois la joie me ressuscite.
C'est un mal de si beau semblant
Que je le préfère à tout bien,
Et puisque le mal m'est si doux,
Quel bien pour moi après la peine!
J'aime la plus belle et meilleure.
Mon coeur soupire, mes yeux pleurent,
De trop l'aimer pour mon malheur.
Mais qu'y puis-je si l'amour m'a pris,
Si la prison où il m'a mis
A pour seule clé la merci
Qu'en elle je ne trouve point?
Cet amour me blesse le coeur
D'une saveur si gente et douce
Que si cent fois par jour je meurs
Cent fois la joie me ressuscite.
C'est un mal de si beau semblant
Que je le préfère à tout bien,
Et puisque le mal m'est si doux,
Quel bien pour moi après la peine!
Bernard de Ventadour
Pitou Ventadour
5 commentaires:
il est où, le lien "j'aime" à cocher comme sur fessebouc??
(mais nanard ventardmachinchouette, bof bof)
Guilitti
Tu n'as pas l'impression, parfois, que certains élèves arrivent en direct de Mars?........... Moi, si!
Au moins on ne peut pas lui reprocher de ne pas s'intéresser, à lui !!!
Si tu sais où l'on peut trouver des doses de patience +++ et une panoplie de maîtrise-de-soi-et-du fou-rire-en-toutes-circonstances, je suis preneuse... Pis là, tu dois en avoir besoin aussi !!!
Tu es un super prof pour lui faire apprendre ça, chapeau , pas facile !
(j'adore comme il cause de lui à la 3ème personne, mouarf)
Ah oui, quand même ! ;-)
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