Le blog coruscant et capricant d'un couple de garçons en retour d'exil

mercredi 16 janvier 2013

Le pot de Lalouze

Demain, c'est la galette des rois. C'est assez tordu de le faire aussi tard; cela a au moins le mérite de laisser passer l'écoeurement qui suit les fêtes de fin d'année. Remarquez, dans le lycée où Pitou V. travaille jusqu'à la fin du mois, ils tirent les rois le 21 janvier, l'anniversaire du régicide - celui qui a la fève se fait décapiter. Se bourrer la panse de frangipane, c'est un passage obligé dans le calendrier social de tout établissement qui se respecte, mais c'est loin d'être le plus redoutable.

Le point d'orgue des mondanités dans l'année scolaire, c'est le pot de fin d'année, début juillet. Vous croyez peut-être que ça fleure bon les vacances? Ne sous-estimez pas les enjeux d'un tel événement que tout le monde redoute. Pour peu qu'il y ait départ en retraite, ça peut prendre de sacrées proportions. La dernière fois, une collègue qui était en poste depuis 25 ans et qui a obtenu sa mutation dans un bahut voisin parce qu'elle se sentait incapable de supporter une année de plus les deux canards de son équipe, n'a pas fait mystère des causes de son départ dans son petit laïus... Elle a été très applaudie par la quasi totalité de l'assemblée. Inutile de préciser que l'atmosphère était assez électrique...
Le pot de fin d'année offre aussi l'occasion de faire de petits cadeaux aux remplaçants dont on se doute qu'ils reviendront l'année d'après, mais quand même c'est pas sûr ("ah? c'était elle la prof d'espagnol?"). Le chef en égrène la liste. Les gens concernés ne s'avancent même pas au centre de l'arène - car, phénomène mainte fois observé, un front en arc de cercle laisse désert la plus grande partie de la salle polyvalente, tout le monde se tassant près des murs. Et pourtant, l'une d'elle se hasarde au milieu de la piste pour aller chercher son stylo-plume, devant deux cents personnes. Il n'y en a qu'une, et c'est Lalouze.

"Oh lala! Excusez-moi! Je viens d'arriver! Mais vous ne savez pas ce qui m'est arrivé? C'est terrible! J'ai une fuite chez moi! Oh lala! J'ai du mal à atterrir, c'est pour ça!"

Ce discours-là n'a suscité aucune ovation. De toute façon, les choses sérieuses s'annoncent! Il est temps d'écouter le vibrant hommage de Stentor à notre doyenne, Sylvie Jolie. Son défi consiste à lui souhaiter une bonne retraite, sans jamais prononcer ce mot, sous peine de heurter sa sensibilité. Bienvenue au royaume de la périphrase! Toute l'équipe de lettres a rejoint Stentor sous les feux de la rampe - dieu que c'est intimidant! Notre collègue se sort de sa petite allocution avec les honneurs. Sylvie est ravie, nous fait la bise, se fend d'un petit mot plein d'émotion. À peine a-t-elle achevé sa dernière phrase que Cinderella Lalouze s'élance de nouveau au milieu de la salle.
"Oh lala Stentor! C'était très bien ce que tu as dit. Tu sais quoi? Moi j'ai une fuite. J'ai du mal à atterrir, si tu savais!"

Pour souligner le cocasse de la situation, rappelons que Cinderella avait commis quelques semaines plus tôt une lettre de délation fustigeant les pratiques dégradantes de Stentor, coupable d'avoir choisi une pièce répugnante pour un projet pédagoguique. Sylvie Jolie nous montre ensuite le lecteur CD qu'elle a reçu, ce qui a naturellement amené Cinderella à nous confier en aparté : "oui, mais moi j'ai une fuite."
Le temps des discours et l'ouverture des cadeaux est enfin terminé. Il ne reste que le plus agréable : se faufiler jusqu'au buffet. J'ai ma technique pour être au plus près des petits-fours : je suis comme une ombre ma collègue A., la reine des pique-assiette. Malheureusement, Cinderella semble connaître les mêmes astuces que moi... Je n'ai pas avalé deux feuilletés à la saucisse qu'elle est déjà sur mon dos!

"Vous n'imaginez pas ce qui m'arrive [tiens, aujourd'hui elle me vouvoie... on doit être mardi]! J'ai une fuite chez moi! C'est pour ça, j'ai du mal à atterrir!"
Je pressentais qu'elle allait jouer les sangsues. Or, la nervosité me fait faire absolument n'importe quoi. J'ai donc répondu. Et j'ai fait de l'humour. J'ai beau savoir qu'elle est incapable d'accéder au second degré et à un langage imagé (elle doit être un peu autiste), je ne peux pas m'en empêcher:

"Ce n'est pas surprenant que tu aies du mal à atterrir, si tu as une fuite. As-tu seulement essayé d'amerrir, pour voir?"
Je ne pouvais tout de même pas lui dire qu'elle nous l'avait déjà dit trois fois! Un nuage voile son regard. Ce n'est pas grave, elle enchaîne :
"En plus, en-dessous de chez moi, c'est une banque, alors il n'y a personne le soir. je ne sais pas comment ça va se régler!
- Ne t'en fais pas! Les banques, ce n'est jamais contre un peu de liquide! Excuse-moi, je vais faire passer ce plateau de douceurs..."
 OK, je me suis farci le service pendant un bon quart d'heure, mais au moins j'avais trouvé une issue de secours. J'ai été bien bête de m'embarrasser de tant de tact! Du coin de l'oeil, j'ai vu Lalouze se planter devant Baryton qui, aux seuls mots de "J'ai une fuite", lui a explosé de rire au visage. La prochaine fois, je fais pareil.

Pitou G.

P.S. : Oui, mais moi, j'ai une fuite.

4 commentaires:

MysTik a dit…

petit coucou d'encouragement pour continuer à voir les Pitoux poster à un rythme effréné et gagner l'auto-challenge de "autant de posts avant fin février que pour l'année 2012" (de mémoire, flemme de chercher la formule exacte dans les petits mots précédents).
tiens, pis bonne année tant qu'on y est !

Guilitti a dit…

sinon, tu peux lui proposer les tampax, pour les fuites...

La Panthère Rose a dit…

bon... qui a eu la fève alors ?

Anonyme a dit…

ENCORE ! ENCORE !
Jecaracole