Le blog coruscant et capricant d'un couple de garçons en retour d'exil

dimanche 17 octobre 2010

Scrutin à l'afghane scrutant la gaffe

Mon grand oncle, tonton Maurice (je mets son vrai nom, il ne m'en voudra pas : il n'a jamais connu le Ternet), faisait des rêves prémonitoires. Je trouve ça super classe, le don de double-vue : en plus ça saute des générations et un beau jour, gêne récessif ou éveil spirituel, pouf, tu es l'élu. C'est bien la seule raison qui me pousse à essayer d'y croire, mais c'est pas facile tous les jours de jouer les ingénus.
Pourtant, lorsque la veille des élections de mes délégués de classe, j'ai rêvé que YoungFather et Déka - notre énergique conseillère d'éducation - m'assistaient lors du scrutin, j'étais loin d'imaginer que nous nous retrouverions effectivement tous les trois en train de palabrer sur le résultat. Notez que, quand je dis "assistaient", j'exagère un peu : dans mon rêve, Déka n'arrêtait pas de parler et passait un film qui n'avait rien à voir avec l'élection des délégués. D'ailleurs, à la fin de l'heure, on n'avait élu personne. Quant à YoungFather, il était assis avec les mômes et reprenait de sa grosse voix ceux qui baragouinaient ("hein hein? hein hein? Tu ne crois pas que tu es en train de sacrifier les auxiliaires, là?" dixit). En même temps, sans eux, ça n'aurait pas forcément été mieux, vu qu'à chaque fois que j'ouvrais la bouche, un grêle filet de voix en sortait : même moi je ne comprenais pas ce que je voulais dire...

N'en déplaise à tonton Maurice, ce rêve peut s'expliquer autrement que par le paranormal; par l'appréhension, l'angoisse et un certain sens de l'humour, par exemple... Sauf que je n'avais absolument aucune raison de me ronger les sangs : j'avais fait un sondage et savais que je n'avais que deux candidats, tous deux rompus à l'exercice (là aussi, ça doit être une question de gêne récessif : "tu seras délégué de classe, mon fils"). Réglé en un tour, le scrutin. Même pas besoin de relire le règlement (la buse). Et puis bon, ce n'était pas mes premières élections...

Détail savoureux : étant donné l'emploi du temps saturé des 3e, j'ai dû les faire venir exprès pendant la pause méridienne, compliquant la vie des externes. Tant qu'à verser dans le ratage d'anthologie, autant enquiquiner le plus de monde possible. Remarquez, le spectacle méritait le déplacement... Parce que, vous vous en doutez, rien ne s'est passé comme prévu.

Lors de l'appel des candidats s'élèvent les deux mains attendues et avec elles une rumeur grandissante :
"Allez, Fleuriiiiiiiiine! On avait dit que tu te présentais! Alleeeeeeeeez!"
Taratata! On n'avait rien dit du tout! La seule qui ait le droit de dire quoi que ce soit, c'est Fleurine herself. Et qu'est-ce qu'elle en dit, Fleurine? Rien. Elle fait sa coquette. Pas du tout partial (elle ne va pas foutre en l'air mes rêves d'élections simplissimes, cette greluche!), je lui rappelle les tenants et les aboutissants d'une telle responsabilité et lui demande si elle est prête à les assumer. Elle secoue la tête. "Pitou G. comme Génie", me félicité-je : deux candidats, un tour, zéro tracas. Porcia-Pittbulla me pose la question rituelle : "On a le droit de voter pour quelqu'un qui s'est pas présenté?" Mais oui, charmante enfant; ça ne sert à rien, mais c'est ton droit le plus inane. Là-dessus, je mets en circulation la liste d'émargement : "Surtout, vous ne signez que pour le premier tour : il n'y en aura probablement qu'un seul!"
Alors que je passe dans les rangs avec ma boîte vide de Delacre (vestige de l'anniversaire de Cinderella : je suis sûr qu'elle m'a porté la poisse), je m'aperçois que Fleurine a noté son propre nom sur le bulletin qu'elle a omis de plier. Elle répond à ma perplexité par un sourire de conspiratrice. Souvent femme varie.

Les résultats du premier tour fleurent bon la collusion et la tentative de déstabilisation des instances démocratiques : personne n'obtient la majorité absolue et Fleurine, candidate non déclarée, arrive deuxième. Son amour propre boosté par ce plébiscite, elle décide de se maintenir au second tour. Nous voilà bien. La feuille d'émargement entame son second voyage. La donne a le mérite d'être plus claire, mais l'équilibre des forces est bouleversé. Le dépouillement me donne des sueurs froides : alors que la candidate qui a manqué d'une voix la majorité absolue au tour d'avant divise son score par deux, JustinBieber double le sien. Ils se retrouvent ex aequo, laissant la première place à Fleurine, officiellement élue.
Ex aequo. 'Tevierge! On fait quoi dans ce cas-là, déjà? "C'est le plus jeune qui est déclaré élu" m'ont soufflé à l'unanimité mes collègues après la fatale attaque de panique qui m'a vu improviser dans mon plus pur style n'importequoitesque. Le plus jeune est élu? Si je suis le seul crétin à être incapable d'assimiler cette règle simple, c'est sans doute parce que je la trouve aberrante : Stupida lex, sed lex.

Mais moi, voyez-vous, je vibre pour la démocratie, j'ai une passion dévorante pour la voix du peuple : si j'ai deux ex aequo à l'issue du deuxième tour, je rempile pour un troisième. Faire voler les petits papiers dans la sainte urne est un sacerdoce. JustinBieber en sortit vainqueur et la liste d'émargement couverte de smileys et de noms en double. Celui qui décide du mode de scrutin décide de son issue : la candidate évincée était celle qui avait eu le plus de voix au premier tour. Il est utile de préciser, je suppose, que JustinBieber n'était pas le plus jeune des deux : vous avez déjà compris que l'univers tout entier, chef d'oeuvre de l'absurde, a conspiré contre moi.

Quand j'ai (re)découvert cette fameuse règle du benjamin élu (gageons que je l'aurai de nouveau scotomisée l'an prochain), j'ai connu ma deuxième attaque de panique de la journée et j'ai filé dans le bureau de Déka où je n'ai rien caché de ce grand moment d'incompétence. Nous avons ourdi un plan machiavélique et sommes allés interrompre le cours de la collègue d'histoire pour annuler le scrutin arguant un vice de procédure. Artifice génial, summum de mauvaise foi : nous avons invoqué l'irrégularité de la feuille d'émargement. "27 noms sur la liste quand le procès-verbal mentionne 23 votants? Non, mais vous vous moquez du monde? Dans n'importe quelle démocratie, on annule des élections quand on soupçonne des irrégularités pareilles!". Je jette un regard en coin à L., ma collègue d'histoire (ma caution constitutionnelle), qui hoche vigoureusement la tête. À cet instant précis, je l'aime d'amour. Elle me dira plus tard qu'après notre départ, elle en a remis une couche, leur demandant s'ils avaient fait voter les morts. Fulgurance inspirée de Déka : "Si jamais un inspecteur de vie scolaire tombe là dessus, on va avoir de sérieux ennuis!"

On n'a pas trouvé mieux pour sortir de l'impasse : je me voyais mal laisser passer l'injustice dont j'étais fautif ou destituer JustinBieber après l'avoir déclaré élu. On a donc programmé un nouveau scrutin le lendemain, dans l'urgence, non sans une certaine gêne : je ne voulais pas avoir l'air d'annuler les élections, sous un prétexte vaseux, juste parce que leur résultat ne me satisfaisait pas. Mais admettez que la candidature non désignée qui rafle spontanément un tiers des voix au premier tour, ça a des allures de complot... J'ai subodoré une ambiance pourrie dans la classe, mais il s'avère après enquête que ce n'est même pas le cas.

Le lendemain, Fleurine est venue s'excuser ("tu n'as pas à t'excuser, tu as le droit d'être candidate; mais admets que c'est mieux quand les choses sont claires!") et ne s'est pas portée candidate ("Euh? Tu es bien sûre, cette fois?"). Avec une efficacité toute stalinienne, j'ai pu introniser les deux délégués attendus. Non mais.

Je ne sors pas grandi de cette berezina, mais un peu moins bête. Déjà, j'ai perdu beaucoup de ma confiance dans le suffrage universel. C'est sûr que tout aurait été plus simple à la façon de Tonton Maurice (pour mémoire : "et pouf, tu es élu"). Mais surtout, lors du bilan avec Déka, après ce fiasco électoral, nous sommes tombés d'accord sur un point : la prochaine fois que je sabote des élections, je m'arrange pour que la candidate spoliée ne soit pas fille de principal.

Pitou G.

3 commentaires:

V à l'Ouest a dit…

J'ai également pesté contre la démocratie il y a quelques jours quand les candidats valables et responsables à l'élection de délégués de ma classe ont perdu au profit d'un niais et d'un crétin terminé à l'urine dont le slogan de campagne électorale (campagne qui se réduisait à ce seul slogan du reste) était "La vie est belle !". Un bref, très bref instant, j'ai eu une envie de régime totalitaire.

inci a dit…

Le récit est haletant, la chute tordante.
(J'ai moi-même de très mauvais souvenirs d'élections de délégués quand j'étais au collège, où en tant qu'élève - jamais candidate parce que ça demande trop d'investissement dans la vie sociale de la classe - j'ai eu moi aussi des envie totalitaires quand j'ai vu un des crétins de la classe élu parce qu'il avait proposé plus de sorties - comme s'il avait un quelconque pouvoir sur le budget du collège!)
Bref, chouette post :-)

Guilitti a dit…

dans ma classe, 2 candidats.. j'ai exigé la présentation d'au moins un 3ème, même pipeau, afin qu'il y ait vraiment un vote et non un simulacre. Et je leur ai dit que je les libérerais à la fin de l'élection même si l'heure (de vie de classe) n'était pas terminée : je vous garantis que ça limite les envies de jouer avec le scrutin !
(de l'avantage d'être en lycée..)