Je le procrastine depuis un mois, ce billet, tant je crains que mon récit ne soit pas à la hauteur de ma rentrée épique. Mais je ne le saurais jamais si je n'essaie pas... Au boulot!
Le jour de la prérentrée, les profs sont obnubilés par leur emploi du temps. Ils trépignent toute la matinée puisque les chefs, fins psychologues, réservent pour la fin la distribution des pochettes-surprises - à moins que vous n'ayez des chefs modernes qui vous envoient par mail votre emploi du temps à la mi-août (les nôtres se contentent de le promettre). Ils pensent ainsi s'attacher l'attention de leur auditoire, croyance d'une touchante naïveté : l'impatience est le meilleur bouchon d'oreille qui soit.
J'ai toujours trouvé un peu pathétique l'hystérie qui suit la découverte des plannings et les pour-parlers entre collègues qui veulent s'échanger telle ou telle heure, même si certains ont pour cela des raisons très légitimes. Je me dis quelquefois que les couloirs de l'O.N.U. doivent ressembler à un collège début septembre. Autant je comprends qu'on attende fiévreusement la composition des classes qu'on a en charge, autant je me fiche à peu près totalement de mes horaires. C'est vrai que je n'ai pas trop de contraintes : pas de route, pas d'enfants, pas trop de mal à me lever le matin. Mais même dans mes années amiéniennes où je naviguais entre deux bahuts à 40 bornes de chez moi, je n'ai pas souvenir d'avoir été obsédé par mon emploi du temps.
Cette année, j'avais une raison supplémentaire de ne pas me ronger les sangs. Dès mon arrivée, à 8H30, le principal m'a pris à part pour me prévenir (je jouis de privilèges V.I.P.) : mon emploi du temps était pourri, mais il allait trouver une solution. Moi, j'ai surtout retenu la première partie de la phrase et grand bien m'en a pris, vu que la seconde mouture, la définitive, devait se révéler plus catastouffique encore.
Je n'aime pas passer pour une vedette. Notre tout nouveau chef adjoint doit être doté d'une intuition sans pareille, car il l'a tout de suite compris. Devinant mon embarras lorsque le grand Manitou citait mon nom en déplorant humblement les imperfections des emplois du temps, il a tout de suite pris l'initiative de détourner l'attention du public en enchaînant les malaises. À 9H30, il est parti aux Urgences avant d'être héliporté au CHU : c'est ce qu'on appelle une rentrée en fanfare. J'ai vérifié auprès de tous mes amis profs dans plein d'autres bahuts, c'est nous qui avons gagné la palme de l'originalité, cette année. Du coup, même le grand retour de Cinderella Lalouze est passé presque inaperçu!
Quand j'ai eu mon emploi du temps entre les mains, je lui ai à peine jeté un oeil : ah oui, quand même, je devais bosser tous les midis... Le privilège de faire cours quand tout le monde est en pause fait partie de mon kit V.I.P., en tant que professeur d'une option en voie d'extinction. Mais après tout tout : plus tôt on commence, plus tôt on a fini, non? Euh... non. Honnêtement, manger en vitesse le midi, je m'en contrefous; en revanche, quand je fais la promotion du latin auprès des gnomes, j'aime bien ne pas avoir à leur dire qu'il y a cours le midi. J'ai déjà suffisamment de mal à les convaincre de venir travailler quand les autres se glandent. Au cas où vous n'auriez pas remarqué, le contexte est un peu tendu pour les groupes à petits effectifs : bientôt, il faudra avoir trente élèves pour obtenir le financement (promouvoir la culture est une priorité de notre gouvernement, mais seulement dans les établissements où les familles ont beaucoup d'ambition pour leurs enfants). Quand je craignais que les cours sur la pause méridienne allaient rendre un peu plus difficile le recrutement de l'année à venir, je me berçais encore de douces illusions. J'étais bien loin de me douter que ce serait un immense bordel dès septembre, m'obligeant à des compromissions auxquelles je ne pensais pas être confronté avant quelques années. Découragé, moi? On en parle dans un autre article, et on en revient à mon emploi du temps.
Il y a au collège Haquenée une politique assez intéressante de clubs, le midi (sauf quand vous avez cours). Et cette année, c'est une explosion d'activités : chorale, théâtre, cinéma, jardinage, sciences, journal, débat, mythologie (c'est gentil, les collègues, de ne pas m'en avoir parlé; c'est pas comme si c'était mon boulot), sports divers, guimbarde, macramé et cercle sataniste. Afin de permettre aux collègues de fixer le jour de leur club, le grand Manitou a pris l'initiative d'afficher mon emploi du temps : comme ça, tout le monde sait quels élèves sont indisponibles tel ou tel midi. Le détail cocasse, c'est que le chef s'est fait enguirlander par qui de droit, parce qu'il ne l'avait pas placé dans la bonne section du panneau... Mais quelle section choisir, au juste? Consulté à ce sujet, je suggère au chef d'utiliser espace "activités culturelles", vu que c'est à destination des organisateurs de clubs.
L'affichage de mon emploi du temps a beaucoup amusé mes collègues et déclenché de nombreux témoignages de sympathie. C'est sûr qu'occuper toute l'amplitude horaire d'une journée avec trois heures de cours, ça force le respect : deux fois par semaine, je passe plus de temps à attendre que devant les élèves; ma journée type? Je commence à 8H00, de 9H00 à 13H00, c'est ma pause déjeuner; à 14H00, j'ai bouclé ma deuxième heure et n'ai plus qu'à patienter jusqu'à 16H00 pour entamer la troisième. "Au moins, ton emploi du temps nous oblige à l'humilité", "Mais tu lui as fait quoi, au boss?" sont les réactions les plus fréquentes, loin derrière le très con "Pourquoi t'as affiché ton emploi du temps?" de certains collègues qui doivent me prendre pour une diva. À ceux-là, je réponds, selon mon humeur : "Mais parce que je suis le centre du monde, chéri(e)!" ou "Pour m'occuper entre deux heures de cours". Le prix de la plus belle remarque revient à mon collègue d'arts : "Je comprends qu'il figure dans les activités culturelles, ton emploi du temps, il a une esthétique très... plastique".
Quand le chef m'a appris qu'il se trouvait des parents pour écrire des courriers rageurs proclamant que les emplois du temps ne devaient pas être faits pour les profs, mais pour les élèves, je lui ai suggéré de leur envoyer une copie du mien. Je me vois assez bien en martyr de la cause scolaire. En revanche, je n'ai pas eu le cran de le remercier pour le plus beau cadeau de cette rentrée : la classe dont je suis professeur principal. En terme d'orientation, c'est un peu l'équivalent de la petite boutique des horreurs : des mômes pas méchants mais pas très motivés (euphémisons), pas en grande réussite (euphémisons encore) et qui n'ont aucune idée de ce qu'il veulent faire plus tard. Un conseil : si vous n'avez aucun projet professionnel à 15 ans, débrouillez-vous pour avoir de bonnes notes; au moins, vous pourrez finir prof. L'an dernier, c'était une collègue de maths qui avait hérité de la classe avec ce profil. Elle est en congé pour natalite (ceci explique sans doute ma soudaine "promotion") et m'a perfidement retourné le compliment que je lui avais adressé l'an dernier (bien fait pour ma pomme) : "C'est la preuve que la direction a confiance en toi!"
OK, je n'ai pas toujours été un ange; il fallait bien que je le paye un jour. J'ai le karma foutraque. Mais qu'ai-je bien pu faire pour mériter qu'une collègue super-conne pourvue d'un emploi du temps de rêve, qui a choisi de vivre dans un trou paumé et qui s'est persuadée que j'ai moi-même affiché mon emploi du temps en guise de protestation, me dise : "T'habites à côté? Bah de quoi tu te plains?"?
Pitou G.
P.S. : Ce billet est plus porc long qu'épique, mais je reviens à plus de légèreté dans le prochain, promis.
7 commentaires:
Et l'adjoint?... Est-il revenu? Ses malaises ont-ils été la conséquence de son inconséquence quant à ton emploi du temps? Quel suspens!!!!! Mais je compatis d'autant plus fort que cette année j'ai vraiment un emploi du temps de rêve!!
Notre adjoint est de retour depuis hier, grâce à un traitement très contraignant. Il a vraiment eu chaud. On lui souhaite de ne pas connaître de rechute...
Oh la! Je ne pensais pas cela possible, de cumuler à ce point! Je compatis vivement!
Il est vrai que souvent, quand on voit les horaires que l'on donne aux cours de latin et la motivation qui étouffe les troupes gnomesques, on a simplement envie de hurler. Pourquoi ne pas placer le latin à une heure normale et les maths à 17h ? Ou l'histoire-géo à 12h ? Les heures de permanence forcée motiverait peut-être le reste à s'intéresser d'un peu plus près à ce noble enseignement ? (Dans la mesure où ma collègue titulaire a raflé toutes les classes de latinistes de la 4e à la terminale, sans sa soucier de mes problèmes financiers, je me fiche de son emploi du temps. Mais tout de même.)
Quant au coup du club mythologie, j'estime que c'est un peu abusé : si les mômes veulent faire de la mythologie, qu'ils fassent du latin : le plaisir ça se mérite!
Bon courage en tout cas!
oui bon ben... salle de sport de 9 à 13, je ne vois pas de quoi tu te plains ! et puis en plus, tu ne ramènes pas de boulot chez toi, hein, petit veinard !
En collège, j'ai tjs eu des EDT pourris (surtout qd j'étais sur 2 collègesà à cause de l'amplitude moins grandes des horaires. Maintenant que j'ai un lycée de rêve avec un chef idéal, je croise juste les doigts pour que je ne paie pas un jour mon EDT parfait de cette année (que je connais depuis fin juillet, lalala..)
ET le prochain, il est quand ? Nan paske ça fait un mois que je te plains de tout mon coeur là, j'en ai marre ! ;-)
Je voudrais retrouver ce capital commisération pour mon moi-même du dedans qui a présentement la crève.
Y a quelqu'un ???
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