Le suspense aura duré presque jusqu'au bout, cette année. Les plans que j'avais échafaudés pour rester à Haquenée ont échoué, et j'ai laissé place à un stagiaire comblé par son tuteur. Le 26 août, j'ai reçu deux arrêtés du Recto-rat, m'affectant sur deux collèges de la ville (dont celui où j'étais il y a deux ans), avec un reliquat de quatre heures qui s'est réduit à deux et demi puis à zéro en deux jours: "ah, il vous reste des heures, tant mieux, il me fallait quelqu'un pour boucher les trous!" m'a dit en substance la sous chef du collège
Hautdupanier, "Vous allez donc avoir une sixième et... cinq heures de soutien!". Ô joie et bonheur, me voilà promu prof de remédiation/remise à niveau-en confiance. La gentille jeune collègue me prévient le jour de la prérentrée: "C'est pas vrai, ils t'ont refilé mon emploi du temps... tu vas voir,
ça c'est superpénible!" Car en sus de mes trois heures de soutien 6e "normal", avec des gnomes un peu quiches mais pas trop, je vais aussi assurer les cours de "soutien renforcé" auxquels ont droit les plus brillants spécimens de 5e et 4e. Il est vrai que pour cela on les prive du plaisir des Heidi Di (comme dirait G., en France on n'a pas de pétrole mais on a des IDD*.)
Je ne devrais pas me plaindre: je découvre le meilleur collège de la ville, je ne ferai pas de route cette année encore, et mes deux établissements sont pilotes pour les TICE et l'ENT**. Plus de billet d'appel, plus de carnet de notes, bientôt plus de feutres pour les tableaux (à
Hautdupanier, je projette tout avec grâce par l'élégance de mon vidéoprojecteur plafonnisé qui s'allume d'une délicate pression du doigt... La classe américaine.)
Le retour au collège
Léonardo Di Caprio s'est passé sans heurt, je connais les lieux et les gens (dont ma chère
Vénitienne). J'ai hérité de deux 5e présentant chacune d'intéressants demi gnomes. Dans l'une j'ai un
Blanc-bec atteint de logorrhée:
- Nous travaillerons en séquences, qui sont l'équivalent d'un chapitre, et devrions en faire six ou sept dans l'année...
- Mais Monsieur c'est pas normal, en 6e on en a fait douze des séquences, alors en 5e normalement on devrait en faire plus parce que la 5e c'est plus dur que la 6e...
Il va sans dire que j'ai coupé court à son délire verbal mais endiguer le flot de son discours a nécessité un virulent "ta-gueule" pédagogique.
Dans l'autre, j'ai remporté le pomponneau de la pomponnette, la fève, j'ai nommé
Äverell.
Äverell a un prénom américain, avec un tréma improbable.
Äverell a commencé à grandir mais a encore une voix haut perché, qui s'envole dans les aigus quand il s'excite (tout le temps).
Äverell donne toujours l'impression de se foutre de toi, mais en fait il n'en fait pas exprès, il a juste un sens inné du ridicule. Morceaux choisis, toujours sans aucun esprit d'à propos, en général quand tout le monde travaille en silence:
- Monsieur, pourquoi dans "vignette" on entend un "i"? Viiiiiiiignette!
Ou encore:
-Monsieur, c'est vrai que vous pouvez vous fâcher
très gravement?
- Tu veux tenter?
(se reculant, en ouvrant de grands yeux)
- OH NON ALORS!
Une perle. Promis, cette année, je les collectionne et je vous fais un beau collier.
V.
* Pour les non profs, il s'agit d'une idée sympa qui s'apprête à disparaître: deux matières, qui s'articulent autour d'un thème et d'un projet fédérateur, si possible porté par les élèves. Bon, ça a parfois donné des trucs improbables ("le pli et le drapé", testé par G.) ou carrément invraisemblables comme l'IDD Français-techno "Presse-purée"... Toutefois, il faut voir l'excellent collège
Clisthène, à Bordeaux ou tous les élèves travaillent sur un thème différent à chaque période, en interdisciplinarité.
** En fait non, les non profs, devinez ce que veut dire l'acronyme et sans tricher! Une photo d'un truc à gagner avec une recette de muffins. Ou les vrais muffins faits maison, mais on ne livre pas.