Le blog coruscant et capricant d'un couple de garçons en retour d'exil

lundi 16 juin 2008

Des Hurons au Grand Siècle

"L’on parle d’une région où les vieillards sont galants, polis et civils ; les jeunes gens au contraire, durs, féroces, sans mœurs ni politesse (...). Les gens du pays le nomment *** ; il est à quelque quarante-huit degrés d’élévation du pôle, et à plus d’onze cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons".
Jean de La Bruyère, Les Caractères, "De la Cour", §74


Au cas où le château du Roi Soleil aurait eu la nostalgie de ces jeunes gens au coeur féroce qu'il abrita autrefois, Marie-Antoinette L. décida un beau jour d'y promener une escouade de godelureaux ornais. Elle me demanda d'être de l'aventure, en ma qualité de prof, ô combien comblé, des deux classes concernées. Il s'agissait d'escorter la classe de Catul-pas-de-e et Tibulle et celle de Grelinda. Une classe consolant de l'autre, j'acceptai : les bons-gentils garantissaient un genre d'équilibre avec les tartes-bestiaux. Je peux bien encaisser les insanités des uns en contrepartie des étoiles scintillant dans les yeux des autres.

Les étoiles n'ont brillé que dans mes rêves : à la suite d'un réjouissant mic-mac, on substitua à la classe sympa une autre meute de rustauds que je ne connaissais même pas (les gentils partiront la semaine prochaine avec des collègues plus fortunés). Les choses se présentaient sous leur jour le plus lumineux.

À ce stade, je suis au regret de décevoir nombre d'entre vous: la Toute Gracieuse Grelinda et son clone ne furent malheureusement pas des nôtres. Mais rassurez-vous, ses petits camarades ont de la ressource : Soiziguidic, Pithecon et, surtout, le petit Childrik étaient en très grande forme. Pour mémoire, Childrik est ce gosse qui se sent agressé quand vous lui dites "bonjour" et qui se retient à peine de vous sauter à la gorge quand vous lui rappeler qu'on ne garde pas son manteau en classe. Et c'est indiscutablement le grand champion de la journée.


Dans les couloirs du château

Evidemment, on s'est payé plus d'une fois la honte au cours de la visite :

- en séparant des gosses qui se foutent de petits coups de poing pour rigoler au beau milieu de la Galerie des Glaces;

- en apprenant que Picasso est le peintre officiel de Louis XIV;

- en observant le spectacle grandiose d'ado avachis dans une antichambre du roi ou laissant traîner leurs mains sur les linteaux des cheminées (et on a beau les rabrouer vingt fois, ce sont toujours les mêmes qui se font remarquer). Quand la guide se fend de commentaires assassins, ça devient très embarrassant;

- en constatant que Childrik est très têtu. Dans la chambre du roi, la guide commence par un avertissement : "les gens disent que le lit est petit, mais en fait il mesure plus de deux mètres sur deux. C'est parce que la salle a une surface de 100m2 qu'on a l'impression qu'il est minuscule".
Là dessus, le mioche s'écrie : "mais il est petit ce lit!". Et il insiste, le bougre! Il répète jusqu'à ce que la guide interrompe l'explication qu'elle donnait à Wenceslas ("non, il n'y a pas de passages secrets dans le château..."). Avec le sourire jusqu'aux oreilles mais peinant à dissimuler son agacement, la guide a eu cette étrange répartie : "mais c'est qu'il revient à la charge, ce petit! il me rappelle quelqu'un à la maison!"... Moi j'ai du mal à croire qu'une dame aussi polie ait pu enfanter un monstre comme Childrik. Pas sans le concours d'un Troll, en tout cas.

Pour le reste, si l'on excepte les ricanements et les "p'tains" continuels de Pithécon, les jérémiades d'Alizéa, les "c'est chiant" ou "elle parle trop la dame, moi j'écoute plus" de Soiziguidic et les "quand est-ce qu'on bouffe?" de toute la troupe, la visite s'est bien passée.

Dans le Parc

Le pique-nique fut un moment de réconfort, même s'il a fallu s'assurer que nos Hurons n'abandonnent pas par terre leurs immondices. Cela m'a valu ce petit mot tendre de Soiziguidic : "Mais il va encore nous faire ièch! Moi, j'aurais vraiment préféré partir avec M. Youngfather ou Mme Irène!".
Vibrant hommage. Il est bien sûr tout à fait évident que mes collègues les auraient autorisés à foutre le souk. Y a vraiment que Pitou G pour faire tant d'histoires!

Image d'Epinal : une collègue tient à bout de bras un sac en plastique abandonné par Pithécon et lui demande de ramasser les ordures qu'il a laissées par terre. L'échalas remplit le sac que ma collègue tient toujours et puis il s'en va en grognant et en lui laissant sa poubelle.

Le bouquet final

"C'est là qu'on est contentes d'avoir pris un homme avec nous.
_ Et en plus, sa voix porte bien!"

Le retour fut de loin ce qu'il y eut de pire. Vous le raconter en détail serait au moins aussi insupportable que de le subir. S'il fallait n'en garder qu'un seul souvenir, ce serait celui-ci :

Votre serviteur demande à Childrik, debout au milieu de l'allée centrale du car, au mépris des règles de sécurité les plus élémentaires, de s'asseoir (pour la douzième fois). Réponse civilisée du jeune homme : "C'est bon, j'suis assis, là, t'es content?".
Là, je le pourris sur place (j'aime pas trop que les élèves me tutoient; je suis un peu Vieille France, voyez : une journée à Versailles et je ne sens plus mes chevilles) mais il m'assure que j'ai dû mal entendre (comme mes collègues, un peu dures de la feuille). Cinq minutes après, il crapahute de nouveau au milieu du car. Bien obligé de prendre les devants :
"Childrik, assieds-toi! Et oui, je suis content" *

Quoique, Pithécon qu'on est obligé de changer de place pour cause de bordel dans le fond du car et qui y retourne en douce, c'est pas mal non plus...

Trois heures et demie de ce régime (foutus travaux!).
Et parmi les monstres, lisaient sereinement quelques 5èmes Anges venus compléter le car.

Voilà à quoi s'occupaient des collègues désoeuvrées
pendant que je vivais cet éprouvant périple


Pitou G.

* Il n'est pas inutile de rappeler ici que cette classe a un jour dit en substance à leur prof principal que je prenais mon pied à leur gueuler dessus et que j'étais bien content de les trouver pour me passer les nerfs. Dont acte.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Tout d'abord, la citation de La Bruyère, qui me rappelle quelques souvenirs du cours de littérature en terminale, et notamment ce fameux commentaire composé surprise en 1h, sur ce caractère en particulier... que du bonheur! (Mais j'aime bien La Bruyère, alors ça va ^^)
Ensuite, ce château: je dis que ces foutus gosses ne se rendent pas comptent de la chance qu'ils ont de pouvoir visiter ce château! J'ai beau avoir été à l'école à moins de 10km, jamais de sortie scolaire n'y fut organisée. (Heureusement que pour ce genre de visite j'ai mes grands-parents...)
Joli compte-rendu en tout cas, et je trouve que tu as bien de la patience pour n'avoir pas pris un gamin pour taper sur l'autre...

Anonyme a dit…

Et les faire ramer au milieu du lac, histoire de les fatiguer, cela ne t'es pas venu à l'esprit ?
J'ai adoré ce compte rendu et finalement je félicite tes monstres d'être ce qu'ils sont et me donner ainsi des raisons de sourire niaisement derrière un écran de pc, en lisant des trucs sur Versailles et son château.

Anonyme a dit…

Quelle patience tu as G. Je crois que je me serais mis à hurler ( Pas dans le château bien sûr , mais dans le parc )Tu n'as rien dit à l'élève qui t'a tutoyé ? ça méritait pourtant une belle engueulade !
Ben en effet quelles classes !
Alors , bon courage, et un conseil , n'accepte plus les voyages (?) scolaires.

TAdF.

Musiquette a dit…

Il n'y a qu'un mot pour tout résumer "BRAVO"...moi je suis lâche (et fière de l'être!) J'ai refusé d'accompagner les 7 classes de 3° au Parc Astérix !!!argh rien que d'y penser , j'ai des frissons partout!

Anonyme a dit…

Pour musiquette ...===>>> C'est prévu la visite de Parc Astérix dans le projet d'établissement ??? ça ne me semble pas trop éducatif ni pédagogique , M'enfin ....ça aurait pu être rigolo .

TAdF

Guilitti a dit…

Thieffaine> c'est pas pédagogique, c'est pour les remercier de se barrer l'an prochain ! les 3ème ont en juin une sorite au parc. Le profs ont droit à 10% de pertes...
Les chateaux, on y a trainé nos gars en parents bien comme il faut.. et on a toujours eu droit à "c'est loooong... quand est-ce qu'on maaaange??? allez, on y va?? c'est bon là on a vu la même chose ds la salle à coté"... Donc je comprends les collègues qui n'emmenent pas leurs loustics : une telle gratitude de la part des zados en découragerait plus d'un. Donc BRAVO, diplôme amplement mérité !

eponine a dit…

A inci, la citation de La Bruyère me rappelle, moi, que j'ai fait cours à des terminale L en utilisant comme support ce Caractère. Mais je suis moins sadique, j'avais fait une lecture collective, pas un devoir... A pitou G., ton récit me montre, une fois de plus, que je n'ai pas trop à me plaindre : je ne crois pas avoir jamais été tutoyée par le moindre élève. Il doit falloir avoir plus de patience que je n'en ai pour supporter tous ces affronts...

Les Pitous a dit…

Aujourd'hui, Soiziguidic m'a refait le coup du "c'est trop long" quand je leur lisais une nouvelle (vingt minutes de concentration, c'est un maximum) et Childrik que j'ai contraint à se déplacer a commenté : "vous voulez me faire chier, et ben ça marche" (double joie : il m'a vouvoyé et il s'est déplacé - ça m'étonne toujours un qu'ils obéissent)

Combien de jours encore?

Anonyme a dit…

Tu me fais penser à Caliméro sur ce coup-là ... mais b, je compatis : change de métier, ou d'établissement chais pas, mais c'est vraiment trop injuste ...
Et les enfermer dans les oubliettes de Versailles où qu y a pas de passage secret, t'y as pas pensé ? ... allez, les vacances sont proches !

Les Pitous a dit…

Manue=> Oui, c'est bientôt fini. Quand je pense que ces loustics-là vont faire chuter notre taux de réussite au brevet, l'an prochain...